Bonjour Eric,

 

 

 

 

 

Ce que ton frère t’a dit est exact. Laurent Albarracin va en effet éditer un extrait de A Oui (Jusqu’à). Et aussi surtout, il va peut-être, (c’est une hypothèse favorable cependant ce n’est pas encore certain), éditer Nuages, un des textes de la Posture des Choses.

 

 

 

Ainsi merci Eric de m’avoir un jour parlé de Laurent Albarracin. Il m’aide beaucoup. Son attitude est très agréable. Je trouve d’ailleurs que vos caractères se ressemblent un peu. Vous partagez la même précaution, la même discrétion, la même distinction aussi.

 

 

 

Connais-tu le poète Ivar Ch’Vavar ? Laurent lui a envoyé un exemplaire de A Oui. Et la lecture du livre a provoqué chez lui un enthousiasme incroyable. C’est la première fois que quelqu’un accueille A Oui de cette manière. Ivar Ch’Vavar est le premier à avoir eu l’audace d’avancer à la rencontre du livre. En effet, même ceux qui comme toi ou Laurent aiment bien mes textes, vous les lisez cependant le plus souvent à reculons, avec timidité, inquiétude et parfois même terreur. A l’inverse, la lecture de A Oui n’a pas embarrassé Ch’Vavar. Il était à la fois terrorisé et à l’aise, à l’aise à l’intérieur même de la terreur.

 

 

 

Je n’ai encore jamais lu les livres de Gaétan Soucy. Quels sont ceux que tu me conseillerais d’abord ? Malgré tout, j’ai vu une vidéo sur internet où il présentait un de ses livres dans une librairie. Son attitude m’a intrigué. Je vois très bien il me semble ce qui te plaisait chez lui sans même l’avoir jamais rencontré. Quelque chose comme une bonhommie acidulée, une allure de berlingot un tantinet dingue, une semence de démence délicate. Sa légère fébrilité m’a fait un peu penser au philosophe Clément Rosset et le dilettantisme de son cynisme, la désinvolture de sa noirceur à la tonalité parfois de Robert Pinget.

 

 

 

As-tu déjà entendu sur internet les enregistrements audio des lectures des textes de Tarkos par Tarkos lui-même (J’ai un Problème, Le Petit Bidon), c’est hilarant et étonnant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                  A Bientôt             Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cher Boris,

 

Mais de quels mots pourrait bien avoir peur un homme qui ne craint pas de s'appeler Ivar Ch'Vavar...?

 

 

 

Laurent Albarracin m'a parlé de lui déjà. J'ai lu quelques textes ici et là, mais pas assez pour être retenu. Je suis heureux qu'il te lise avec cet appétit et cette générosité. Ce qui se passe, en effet, avec ton œuvre, du fait de son énormité et de sa radicalité, c'est qu'il faudrait lui laisser toute la place autrefois dévolue à l'ensemble de la littérature, débarrasser le plancher (ou la bibliothèque) de tout le reste et s'y consacrer exclusivement. Non seulement, encore une fois, en raison de sa profusion, mais aussi du point de vue qu'elle nous oblige à adopter. Donc, c'est vrai, des réflexes d'autodéfense nous rétractent, tous les signaux et les sirènes d'alarme hurlent et clignotent à la fois, on se protège. Donc, moi, cette œuvre, j'y entre en zigzags, en piqué, j'y plonge comme la mouette dans l'océan pour n'en prélever qu'une sardine avant de reprendre mon vol. Mais j'en vois l'immensité, je l'admire, elle compte pour moi (puis je trouve la sardine délectable).

 

 

 

Je viens d'écouter Tarkos. Je ne connaissais pas sa voix. Hilarant et étonnant, en effet, et pourtant son accent du sud m'a paru discréditer ou dégrader quelque chose de son génie singulier ( puisque l'original reste un gars de la contrée). Gêne personnelle, les accents. Et la seule fois que Gaétan Soucy s'est rembruni par ma faute, c'est quand, après l'avoir entendu à la radio, je lui ai dit quel trouble m'avait causé son accent québécois, lequel me le rendait presque méconnaissable (comme défiguré par cet hameçon dans la langue). Je vois à ce propos à quel document tu fais allusion, Gaétan dans une librairie avec Alberto Manguel. C'est vrai qu'il y a une ressemblance avec Rosset. Mais Gaétan a été longtemps un très bel homme, un homme à femmes, que l'alcool a fini par démolir. Ce petit film où il paraît très contraint ne rend pas justice à son génie. Tous ses livres sont beaux, mais tu peux commencer par celui qui lui a valu une gloire éphémère, "La Petite fille qui aimait trop les allumettes". Je pense que tu y trouveras du grain à moudre. C'est une langue où innocence et cruauté, comique et tragique, coexistent (mais non pas successivement, simultanément). Le seul autre livre à ma connaissance où ce miracle se produit, c'est "Les Saisons", de Maurice Pons, que tu connais peut-être (et de Pons à Poncet : "Les Pentes fabuleuses", de Dominique Poncet ont aussi par endroits cette étrangeté).

 

 

 

Amicalement,

 

Eric