Anna Karina

 

 

Il y a une vitesse des bras, une vitesse évidente des bras, une vivacité évidente du buste et des bras chez Anna Karina, sa manière souvent de balancer et de projeter ses bras un peu au hasard très vite, une fluidité juvénile des coudes aussi. Anna Karina aime balancer le haut de son corps un peu au hasard comme ça, avec l’insouciance d’une petite fille selon la  chorégraphie de sa flânerie. (Godard filme beaucoup cette aptitude à la chorégraphie flâneuse de Karina dans Pierrot le Fou.)

 

A. Karina est aussi une récitante. Sa récitation à la fois austère et tremblante de Capitale de la Douleur d’Eluard dans Alphaville. Cette récitation de Karina serait une façon aussi de réitérer la cité, de réitérer entre ses lèvres, à l’orée de ses lèvres, à l’ourlet de ses lèvres les mouvements inquiétants de la cité, les mouvements inquiétants et noirs de la cité. Anna Karina récite quelque chose, elle récite quelque chose entre les langues, entre le danois et le français. Elle récite une étrangeté entre les langues, elle récite une émotion étrange entre les langues, elle récite qui sait l’émotion de rester étrangère au langage même.

 

 

Anna Karina apparait comme une sorte de condensation pop d’Anna Karenine, comme une esquisse pop d’Anna Karenine, comme un canevas pop d’Anna Karenine. Le jeu d’Anna Karina a quelque chose d’une esquisse. C’est son aspect matisséen, son allure matisséenne. Le jeu d’Anna Karina esquisse des commencements, esquisse des émotions, esquisse des commencements d’émotions. Ou plutôt Anna Karina parvient à tenir la pose a des esquisses, à faire tenir la pose à des allures, à faire tenir la pose a des esquisses d’allure. Le jeu d’Anna Karina c’est quelque chose comme du Matisse photographié, du Matisse pop, du Matisse photographié de manière pop.

 

Ce que révèle Anna Karina c’est d’abord une forme de désœuvrement, le fameux « Qu’est-ce que je peux faire ? Je sais pas quoi faire. » de Pierrot le Fou, une sorte de désœuvrement qui se vend, un désœuvrement prostitué. Anna Karina marche. Anna Karina marche comme une marchandise, comme une marchandise ravissante. Anna Karina apparait souvent comme une marchandise en marche, en cela elle serait la renaissance pop de la passante de Baudelaire.

 

Anna Karina c’est la poupée pop qui aimerait philosopher, c’est le rêve godardien de la prostituée philosophe, de la femme qui parviendrait à allier par la subtilité de ses sauts, par la subtilité allègre de ses sauts sur l’asphalte, les péripatéticiens d’Athènes et les péripatéticiennes de Paris. Anna Karina c’est le rêve godardien d’une putain philosophe, d’une putain qui pense, d’une putain qui se pense, d’une putain qui se pense en chansons, d’une putain qui saurait comment se penser à la fois en danses et en chansons.