Brigitte Bardot

 

 

 

Bardot décontenance et intimide incroyablement ses partenaires de jeu. Elle fait perdre quasi instantanément leur maintien, leur technique, leurs trucs, tout leur attirail d’acteurs censés savoir comment procéder à l’intérieur du plan. Tous sans exception à un moment ou à un autre acceptent en effet la cage du plan. A l’inverse l’animal Bardot n’y pense pas, l’animal Bardot s’en fout royalement, s’en fout prodigieusement. L’animal Bardot ne croit pas à la cage du plan, c’est pourquoi elle y entre et en sort selon son bon vouloir ou bien encore déchiquette la cage du plan à belle danse. Dans Et Dieu créa la Femme, en présence de Bardot, de profil ou de face, Curd Jürgen, la prestance par excellence pourtant, ne semble plus savoir où se mettre, ne semble ne plus savoir comment prendre place. En effet Bardot par sa seule présence démet en scène le plan, Bardot y accomplit quelque chose comme une luxation de luxure, la luxation de luxure du s’en foutre. En effet Bardot est sans doute la seule star du cinéma qui se foutait intégralement du cinéma. En cela Bardot apparait comme la figure parfaitement inverse de Marylin Monroe.

 

J.L Trintignant aussi malgré tout la ruse rhétorique d’acteur dont il dispose déjà bredouille ses attitudes et son texte tel un débutant. Bardot remet sans cesse les hommes à leur place, celle du non-lieu de la vérité. Dans La Vérité de Clouzot justement, S. Frey semble à la fois effrayé et sidéré de voir Bardot allongée sur le ventre à l’intérieur de son lit, un transistor idiot à proximité, et qui ondule alors en dansant les fesses nues sous les draps. En un seul regard la prétendue séduction irrésistible de Frey s’effrite brutalement. Et la voix bressonniene de Bardot glisse ainsi sur le toboggan de blancheur de sa croupe jusqu’à sourire un « Bonjour, comment allez-vous ? »

 

M. Piccoli est peut-être le seul acteur qui soit parvenu à dompter un peu Bardot à l’intérieur du plan. Dans Le Mépris, la stratégie de Piccoli aura été de jouer avec Bardot, comme si elle n’était pas là, comme si elle était hors-champ, ou bien encore comme s’il jouait avec sa doublure-lumière et même plus absurdement encore comme s’il jouait avec sa doublure-lumière hors-champ. Le parti-pris de Piccoli était d’autant plus surprenant qu’il était parfaitement contradictoire avec le personnage, avec le caractère du personnage qu’il devait interpréter, celui d’un homme qui désire sans cesse la proximité d’une femme même si cette femme le méprise. Contradiction malgré tout comme par enchantement levée parce que la présence de Bardot méprise sa propre absence hors-champ et même plus absurdement encore méprise sa doublure lumière hors-champ, par quoi elle apparait indiscutablement comme une star. Curieuse rencontre cependant de Piccoli et de Bardot dans le Mépris, celle d’un acteur savant et virtuose, d’un acteur d’une prodigieuse maitrise, adorateur discret du cinéma et d’une actrice géniale parce qu’absolument indifférente au cinéma même.