Fabrice Lucchini

 

 

 

 

 

F. Lucchini semble ahuri par sa propre verve. F. Lucchini semble abasourdi par sa propre éloquence. 

 

 

Fabrice Lucchini joue comme un lubrique ahuri, comme un érudit éberlué, comme un érudit ahuri, comme un lubrique éberlué. Il y a une sorte d’érudition ahurie comme une lubricité éberluée chez Lucchini. Lucchini est le Lucky Luke de l’éloquence. Lucchini parle plus vite que son ombre ou plutôt Lucchini parle plus vite que l’ombre du langage, Lucchini parle plus vite à la fois que l’ombre du langage et que la lumière du langage. Jouer un rôle pour Lucchini ce n’est pas  incarner un personnage c’est plutôt la tentation d’utiliser ce rôle afin de pouvoir parler plus vite que la lumière, plus vite que l’ombre de la lumière, plus vite que l’ombre de lumière du langage. Lucchini parle plus vite que l’ombre de lumière du  langage et ce geste de parler plus vite que l’ombre de lumière du langage provoque alors son éberluement, la lubricité de son éberluement, l’érudition de son éberluement, la lubricité érudite comme l’érudition lubrique de son éberluement.

 

 

Jouer pour Lucchini c’est la tentation, la tentation ahurie de parler plus vite que la vérité du langage. Le jeu de Lucchini révèle ainsi que l’illusion de la parole va plus vite que la vérité du langage. C’est pourquoi d’ailleurs Lucchini n’a jamais joué dans les films de Rohmer. Lucchini a plutôt joué en marge des films de Rohmer, à l’intérieur de la marge des films de Rohmer. En effet Rohmer croit que la pensée transcende la parole (et plus encore que la pensée du metteur en scène transcende la parole de ses personnages). Le style de Lucchini est  à l’inverse un style eustachien. Lucchini joue comme Eustache filme c’est-à-dire par le geste d’affirmer que la parole ne transcende rien et que cependant la parole va toujours plus vite, toujours plus miraculeusement vite que ce dont elle parle, toujours miraculeusement plus vite que ce qu’elle évoque. Le jeu de Lucchini révèle que la parole va toujours plus vite que la pensée, que l’immanence de la parole va toujours plus vite que la transcendance de la pensée. Eustache prétendait « Le faux c’est l’au-delà. » Le jeu de Lucchini révèle ainsi aussi que cette immanence de la parole apparait à la recherche d’une sorte de faux exalté, d’un faux comme indice de l’au-delà. 

 

 

Dans Le Genou de Claire de Rohmer le jeu de Lucchini apparait prodigieux. Pendant qu’il parle assis sur la pelouse, sur la pelouse de la discordance, de la discordance même des sentiments, il s’agite alors avec une sorte de véhémence vide, de véhémence inutile, de véhémence creuse, de véhémence futile comme une sorte de ludion catcheur. Lucchini ne parle pas, il fait alors plutôt du catch avec sa voix, il fait du catch avec ses intonations. Sa manière de parler apparait aussi spectaculaire et aussi factice que les gestes du catcheur. Assis sur la pelouse, Lucchini semble parler pour la galerie, pour la galerie des glaces de Versailles. C’est l’aspect mozartien de Lucchini, Mozart tel que l’a montré Milos Forman, à savoir un rockeur parmi les candélabres. Ce qui est étonnant chez Lucchini c’est sa manière de théâtraliser instantanément l’atmosphère. Pour Lucchini, même l’herbe est un théâtre, même le brin d’herbe est un théâtre. Pour Lucchini l’acte d’articuler est ce qui transmute l’herbe en scène de théâtre. Lucchini semble souvent parler un brin d’herbe entre les dents, un brin d’herbe entre les mâchoires et pourtant ce brin d’herbe entre les dents est aussi vaste qu’une scène d’opéra, un opéra cependant très bizarre, un opéra pour James Brown, une scène d’opéra conçue pour James Brown. 

 

 

Il y aurait une ressemblance entre le jeu de Lucchini et le jeu de C. Walken, La diction de Lucchini c’est en effet aussi celle du pas de danse. Pour Lucchini, parler c’est danser avec la langue et les dents. L’éloquence de Lucchini c’est de danser avec la langue et les dents.

 

 

L’art de Lucchini n’est pas comme celui de Léaud  un art de la voix, c’est plutôt un art du ton, un art de l’intonation c’est-à-dire des rapports d’accentuations, d’atténuations, de contradictions, d’altérations, de quiproquos et même d’adultères entre la voix et la parole. Lucchini joue les lignes de contradictions de l’intervalle entre la voix et la parole. Alors que Léaud oublie le monde par la trajectoire abstraite de sa parole, Lucchini quant à lui oscille à chaque instant entre sa voix et sa parole. Lucchini oscille à chaque instant entre la vitesse de sa voix et la vitesse de sa parole, ou entre la lenteur de sa voix et la lenteur de sa parole ou entre la vitesse de sa voix et la lenteur de sa parole ou entre la lenteur de sa voix et la vitesse de sa parole. Il est ainsi difficile de savoir si Lucchini parle avec sa voix ou s’il vocalise avec sa parole. Et cette oscillation entre sa voix et sa parole c’est précisément la forme étrange de son éloquence, la forme tentatrice même de son éloquence. Lucchini invente ainsi une éloquence de l’élocution même. L’art de Lucchini est essentiellement un art de l’élocution.  Lucchini c’est le Lucky Luke de l’élocution, c’est le Don Quichotte de l’élocution. Lucchini  c’est le Lucky Luke-Don Quichotte de l’élocution. Et qui sait aussi Lucchini c’est l’Alice de l’élocution, l’Alice-Don Quichotte de l’élocution, l’Alice-Lucky Luke-Don Quichotte de l’élocution.

 

Lucchini est aussi le Don Quichotte du plan. Selon Lucchini la caméra tourne comme un moulin à vent. Lucchini est le Don Quichotte qui plutôt que de combattre les moulins à vent choisit de débattre avec eux. Lucchini joue comme il débat avec la caméra. Lucchini joue comme il débat avec le moulin à vent de la caméra. Lucchini joue comme il effectue des colloques avec la caméra, comme il improvise des colloques avec la caméra. Lucchini joue comme il effectue des colloques de scintillations avec la caméra, des colloques d’élocution scintillante avec la caméra.

 

 

Luchini joue comme un hybride de Darry Cowl et de Louis Jouvet. Lucchini promène ainsi sa voix dans une sorte de triporteur bizarre et tire des coups de revolver ultra rapides sur le moulin à vent de sa propre langue.

 

F. Lucchini a une diction punaisée. F. Lucchini ne s’écoute pas parler. F. Lucchini s’écoute plutôt prononcer les mots, s’écoute prononcer les phrases comme en dehors même du langage. C’est pourquoi à chaque phrase, des facettes, des ficelles, des facettes ficelées, des souhaits, des intentions, des souhaits intentionnels, des soupçons, des pusillanimités, des soupçons pusillanimes, des emphases, des discrétions, des emphases discrètes, des curiosités, des excitations, des curiosités excitées lui échappent.

 

Lucchini n’en fait pas trop, Lucchini en fait un peu trop. Lucchini en fait à chaque fois un peu trop. Lucchini en fait peu à l’intérieur du trop et trop à l’intérieur du peu. Même sa distance déborde, sa distance bave comme un buvard, un buvard de cristal. Lucchini libelle. Lucchini libelle des ultimatums de cristal, des ultimatums de cristal baveux.

 

Lucchini ouvre et ferme à chaque mot les loquets de l’élocution, les loquets de salive de l’élocution, les loques de salive scintillante de l’élocution.

 

Lucchini lutine des circonvolutions rhétoriques. Lucchini lutine les circonvolutions lunaires de la rhétorique, les circonvolutions lunaires d’une rhétorique solaire. Lucchini mutile les circonvolutions de la rhétorique. Lucchini mutile les circonvolutions solaires de la rhétorique lunaire.

 

F. Lucchini flatte l’illégitimité du langage. F. Lucchini flatte l’alacrité du langage, l’alacrité illégitime du langage. F. Lucchini courtise l’illusionnisme du sens même. F. Lucchini flatte et courtise l’illusionnisme du sens. F. Lucchini flatte et courtise l’illusionnisme du sens selon l’hystérie de son haleine, selon l’électricité de son haleine, selon l’hystérie électrique de son haleine.