Jean-Paul Belmondo 

 

 

 

Ah il y a du beau monde dans le nom de Belmondo. Belmondo c’est le bond, c’est l’éblouissement du bond. Il y a en effet une prodigieuse aisance gymnique de Belmondo, une superbe aisance anatomique de Belmondo, l’extraordinaire décontraction  surtout de ses appuis au sol. C’est pourquoi Belmondo est l’acteur par excellence fabuleux en plan large. Belmondo met en évidence avec magnificence la silhouette humaine en équilibre, la silhouette humaine en équilibre sur la terre. 

 

Belmondo apparait comme un acteur équilibriste, comme un acteur acrobate, D’abord un acteur équilibriste et acrobate du corps et aussi un acteur équilibriste et acrobate des sentiments. Ce que montre Belmondo c’est non seulement l’équilibre du corps, c’est aussi l’équilibre entre le corps et les émotions, l’équilibre entre le corps et les sentiments, c’est aussi l’équilibre de la coïncidence du corps avec les émotions, l’équilibre de la coïncidence du corps avec ses sentiments. 

 

Belmondo est en effet sans aucun doute le moins intellectuel de tous les acteurs. Il y a presque un analphabétisme de Belmondo, une acrobatie analphabète de Belmondo. Pour Belmondo le jeu d’acteur n’est pas un problème cérébral, c’est d’abord un problème musculaire, un problème d’élégance musculaire. Le jeu d’acteur de Belmondo est d’abord un geste sportif. En effet pour Belmondo le jeu du cinéma est extrêmement proche du sport. Pour Belmondo le cinéma c‘est ainsi quelque chose comme un sport des émotions, un sport des sentiments, un sport des émotions et des sentiments, une gymnastique des émotions et des sentiments, une acrobatie des émotions et des sentiments.

 

 

« Belmondo sait marcher et courir. Dans A Bout de Souffle et Pierrot le Fou, il a besoin de marcher et de courir. Il rend intéressants les choses, les immeubles, les gens devant lesquels il passe. Il ajoute une dimension à un trottoir des Champs-Elysées, par exemple. » J.L Godard. Le jeu de Belmondo montre l’espace. Le jeu de Belmondo montre l’espace qui apparait autour de son corps, qui apparait autour de la silhouette de son corps, qui apparait autour de l’équilibre de son corps, autour de la silhouette en équilibre de son corps. Ainsi la force du jeu de Belmondo c’est de donner à voir ce qu’il y a autour de lui, ce qu’il y a autour de sa silhouette, ce qu’il y a autour de son corps, autour de la silhouette de son corps. En effet c’est comme si la silhouette même de Belmondo disposait d’une puissance de lumière, d’une puissance d’éclairage. Belmondo a un aspect luminescent. Belmondo dispose d’un corps clair, Belmondo dispose à l’avenant d’un corps clair, d’un corps qui non seulement s’éclaire lui-même comme les autres stars mais parvient aussi éclairer les alentours. Belmondo éclaire les alentours avec son insouciance, avec la force de son insouciance, avec l’élan de son insouciance. Belmondo éclaire le paysage aux alentours avec la musculature de son insouciance, avec l’élan musculaire de son insouciance. Belmondo montre les atours de l’autour, les atours d’espace de l’autour, les atours des alentours, les atours d’espace des alentours. Il serait à ce propos cependant préférable d’appeler plutôt ça les avifautours, Belmondo transforme en effet la lenteur des alentours en vivacité de l’espace, en ornements de vitesse de l’espace, en ornements de vivacité de l’espace. C’est cela qui était beau par exemple dans Pierrot le Fou, la manière de Godard d’inventer un film semblable à un tableau de Poussin de bande dessinée où déambulait la silhouette de boxeur de Belmondo. Ce qu’invente Belmondo c’est en effet une forme de déambulation boxée. Sa parole même apparait comme une parole boxée où alterne à chaque instant le punch et l’esquive, le punch de l’éloquence et l’esquive de l’écoute.

 

Belmondo joue comme une cascade, comme une cascade d’eau fraiche, comme une chute d’eau fraiche. Belmondo parle à travers la cascade de son sourire. Belmondo prononce les paroles à travers la chute d’eau fraiche de son sourire.

 

Il y a une bonhommie belge de Belmondo. Belmondo est une sorte de Cary Grant flamand ou une sorte de James Dean belge. Belmondo joue comme un James Dean bruxellois. Belmondo joue comme un belge-italien, comme un boxeur belge-italien. Belmondo joue comme un don-juan bruxellois.

 

 

A. Desplechin remarque à propos de Belmondo qu’il semble jouer comme si la mort n’existait pas, que son jeu ressemble à celui d’un homme qui ignorerait la mort. « La mort, on dirait que ça ne le concerne pas. » Et pourtant Godard note aussi ceci « Belmondo n’est jamais ridicule. Jean-Paul Belmondo est l’un des seuls acteurs qui sachent mourir. Bogart savait. Belmondo sait. » Le paradoxe de Belmondo c’est précisément de savoir jouer la mort parce qu’il ignore la mort. L’insouciance paradoxale de Belmondo c’est précisément de savoir jouer la mort par son ignorance même, par la cascade de son ignorance même, par l’acrobatie de son ignorance même, par la cascade ignée de son ignorance, par le feu d’artifice de son ignorance même. En effet c’est comme si pour Belmondo la mort ressemblait à une cascade parmi d’autres et même ainsi que l’indiquait déjà superbement Pauline Kael à une cascade réversible, à la cabriole de veste musculaire d’une cascade, au quasi palindrome musculaire d’une cascade. « Il imitait Bogart, et traitait la mort d’une manière aussi désinvolte que s’il s’agissait d’une cascade réversible. »

 

 

Ce qui relie indiscutablement Belmondo et Mc Luhan, c’est l’apologie du cool. Belmondo est le Mc Luhan du jeu d’acteur. (Et à l’inverse Mc Luhan serait le Belmondo de la théorie.) 

 

Pour comprendre le jeu de Belmondo il est indispensable de comprendre le lieu de coïncidence aberrant, le lieu de coïncidence extravagant entre Léon Morin Prêtre de J. Pierre Melville et Le Magnifique de P. De Broca. Dans Léon Morin Prêtre, Belmondo apparait  comme une sorte de saint trivial, de saint quelconque et un peu moqueur. Et dans Le Magnifique de De Broca Belmondo ressemble à une caricature parodique d’aventurier. Ce que cela donne ainsi à voir c’est à la fois quelque chose comme une parodie de la sainteté et une sainteté de la parodie. Le cool de Belmondo, l’allure cool de Belmondo révèle ainsi une sorte de sainteté nihiliste, la sainteté comme parodie du nihilisme et le nihilisme comme parodie de la sainteté. Ou bien encore le cool de Belmondo serait une hybridation du cynisme et de la sainteté. L’allure cool de Belmondo  révélerait une sorte de sainteté du cynisme et une sorte de cynisme de la sainteté.

 

Belmondo déambule ainsi joyeusement, hilare même comme un Saint Jean acrobate, un Saint François cascadeur. Ce qui fait aussi de manière flagrante le lien entre Léon Morin Prêtre et Le Magnifique, c’est Pierrot le Fou. Belmondo c’est un saint cynique à chaque instant appelé par un autre prénom « Je m’appelle Ferdinand. » Belmondo c’est le saint de l’anarchie, le saint nihiliste de l’anarchiste qui sourit en s’en faire exploser le visage, qui sourit à s’en faire exploser la tête comme un punk paradisiaque.