L’acrobate clarifie la bêtise. L’acrobate clarifie la bêtise à bras que veux-tu. L’acrobate clarifie la bêtise à jambes que veux-tu. L’acrobate clarifie la bêtise à bras et jambes que veux-tu. 

 

 

Monica Vitti

 

 

 

Il y a une vivacité inquiète de Monica Vitti. Monica Vitti a des manies de joueuse démente. Enigme de La Nuit, de L’Eclipse et du Désert Rouge. Comment une femme extrêmement belle devient-elle extrêmement triste ?

 

Il y a un désespoir narquois, une déréliction enjouée de M. Vitti. M. Vitti semble s’amuser avec son désespoir, comme un chat jouant avec une pelote de laine sur un échiquier.

 

M. Vitti a un nez d’aigle et des yeux de chat. M. Vitti a un nez d’aigle et des yeux de lynx. M. Vitti a un nez d’aigle secret et des yeux de lynx excité, et des yeux de lynx à la fois excité et nonchalant.

 

Épaules et tibias de M. Vitti. Superbes épaules et tibias de M Vitti.  Equilibre et élégance des épaules et des tibias. Equilibre des épaules et élégance des tibias. Elégance des épaules et équilibre des tibias.

 

 

Alacrité des articulations et génialité des cartilages de Monica Vitti. Génialité des articulations et alacrité des cartilages de Monica Vitti. Subtilité éperdue aussi des poignets, des chevilles et des talons. M. Vitti joue comme une danseuse, une danse du désarroi, une danseuse du désarroi nonchalant, une danseuse du désarroi narquois. M. Vitti joue comme une danseuse d’humour, comme la danseuse d’humour de son désespoir.

 

Dans L’Eclipse, M. Vitti invente par exemple un indice postural, le tic postural du trac érotique, celui de tenir en équilibre sur une jambe, d’osciller légèrement sur les hanches et de faire tourner le haut talon de l’autre jambe en soulevant alors la pointe du pied.

 

M. Vitti invente ainsi des formes de minauderies statuaires, des coquetteries d’équilibre, des coquetteries de maintien. Maintien souvent minusculement éludé, souvent esquivé de manière miniature.

 

 

M. Vitti apparait aussi comme une virtuose des agenouillements et des accroupissements. M. Vitti dispose d’une aisance quasi quantique des modifications des postures debout-assis et assis-debout.

 

Dans La Nuit d’Antonioni, il y a la scène ultra-érotique du damier, du jeu avec le poudrier sur le damier. Incroyables bonds cérébraux provoquées par le décalage, le décalage de surcroît réitéré entre la posture à quatre pattes et la posture debout sur les talons. (Antonioni est alors proche des obsessions du photographe H. Newton), décalage de plus accentué par la sonorité moelleuse du à quatre pattes et le tranchant fracassant, presque cacophonique du debout sur les talons. Sur l’échiquier du charme, M. Vitti ne cesse alors d’osciller entre la nymphomane et la demoiselle d’honneur.

 

Etonnante adresse de M. Vitti, son lancer précis de poudrier sur le carrelage évoque (en moins surprenant toutefois) le lancer de couvercle sur la casserole par Nadine Nourtier dans Mouchette de Bresson.

 

Il y a une élégance efficace de l’hésitation chez M. Vitti. En effet avant de lancer le poudrier, elle tente plusieurs fois le geste en glissant les doigts très vite à la surface du sol. Magie, minutie, magie minutieuse de M. Vitti  qui s’immisce entre la certitude de son regard et l’hésitation de ses doigts. Avant le lancer, Antonioni ose un extraordinaire décadrage du visage de M. Vitti. Antonioni isole le haut de son visage (les yeux, le front et enfin seulement  les cheveux, la coiffe en bas de l’image) et indique ainsi comme par enchantement la ligne du damier que le regard de Vitti vise au loin avec les doigts de la main.