Jeanne Balibar 

 

 

 

Jeanne Balibar a des yeux de biche et un sourire de renard. Jeanne Balibar a l’allure d’une biche qui aurait dévoré un renard.

 

La voix de désinvolture sylvestre, la voix de biche désinvolte, la voix de renarde ivre, la voix de biche-renarde ivre, désinvolte ivre de Jeanne Balibar. 

 

 

 

L’agressivité évasive de J. Balibar. La bizarrerie vaguement cruelle de Jeanne Balibar, la bizarrerie évasivement cruelle de Jeanne Balibar.

  

 

Jeanne Balibar fait dérailler à chaque instant la locomotive du dialogue avec l’éventail de sa voix.

 

 

Comme Edith Scob, Jeanne Balibar a des inflexions de sabotage, des inflexions de voix  fantasques qui séduisent le jeu même, qui séduisent à la fois le jeu des autres acteurs et son propre jeu. Jeanne Balibar a des inflexions de voix comme des tournures de fantaisie qui détournent notre attention de l’histoire et parfois du film même. Ces inflexions de fantaisie de la voix de J. Balibar font ainsi la distinction entre le hors-champ et le hors-film. En effet ces inflexions de fantaisie évoquent paradoxalement un hors-film qui n’est pas un hors-champ. C’est comme si J. Balibar à la fois par désinvolture et par discrétion parlait par-dessus la jambe ou par-dessus l’épaule ou parfois encore très bizarrement en dessous du dos du film, par dessous le dos du film. 

 

 

Les inflexions de voix excessivement futiles de J. Balibar ne jouent jamais une scène, une scène dans le film. Ces inflexions de voix jouent plutôt le film, elles parient le film, elles jouent le fil du film, elles parient le fil du film. 

 

 

Le funambulisme vocal de J. Balibar révèle ainsi que chaque film tient aussi à un fil, que chaque film tient au fil de ses acteurs, que chaque film tient au fil des intuitions incohérentes, inconsidérées, aléatoires, immodestes, excessives, inexcusables de ses acteurs.  

 

 

Et ces inflexions fantasques de voix rayent alors le film, rayent autrement dit l’éraflent comme la carrosserie d‘une voiture, le réitèrent comme un disque et le font rayonner, rayonner féeriquement en dehors de sa clarté même. 

 

 

Ces inflexions de fantaisie sont aussi encore celle d’une sorte de traduction, de traduction espiègle et parfois même hilare. Par les inflexions de fantaisie de sa voix, J. Balibar traduit le cinéma, J. Balibar traduit le cinéma en une langue étrangère, en une langue étrangère  indécidable, une langue étrangère qu’elle s’amuse à observer de près afin que cette langue  choisisse ensuite de la regarder de loin « Un traducteur fou disait : « A force de regarder les mots de près, ils me regardent de loin. »  C. Batista, Bréviaire d’un Traducteur 

 

 

J. Balibar a une allure de kleptomane. J. Balibar semble à chaque instant voler quelque chose,  sans qu’il soit jamais simple de savoir ce qu’elle a volé et surtout à qui. C’est comme si le jeu de J. Balibar volait des extraits de langage au cinéma et à l’inverse des extraits de cinéma au langage, des extraits de cinéma à la parole.  

 

 

J. Balibar joue comme une funambule kleptomane, une funambule qui s’amuserait à voler le fil sur lequel elle marche, qui s’amuserait à voler le fil sur lequel sa voix marche. 

 

 

 « Ce qu’il préférait dans les mots : leur précieuse pauvreté. »  C. Batista. J. Balibar vole une précieuse pauvreté. J. Balibar vole la précieuse pauvreté de la parole même. J. Balibar vole des « bijoux pour les pauvres ». C’est son aspect brechtien. 

 

 

J. Balibar multiplie des intonations de balivernes, des intonations de balivernes guillerettes, des intonations de balivernes joviales. J. Balibar multiplie des intonations de balivernes et de bobards, des intonations de balivernes voltairiennes et de bobards brechtiens.