Romy Schneider

 

 

 

Romy Schneider est une virtuose de la volte-face, une virtuose du se retourner sur elle-même à l’intérieur du plan afin de regarder, de s’étonner, de sourire ou de rire. La volte-face légèrement surprise est la figure préférée du mouvement à l’intérieur du plan de R. Schneider.

 

C’est par exemple dans Les Choses de la Vie de Sautet sa manière de se retourner assise à sa table où elle écrit devant une fenêtre pour parler à Piccoli ou dans César et Rosalie lorsque  assise à une coiffeuse dans sa chambre elle se retourne et mime l’indignation vertueuse lorsque Montand y entre sans avoir frappé. Ou encore dans L’Important c’est d’Aimer de Zulawski, sa façon de regarder le photographe en tournant son visage par-dessus son épaule et de lui demander s’il souhaite qu’elle remue un peu les fesses. A chaque fois R. Schneider se retourne et torsade son corps avec une intensité et une élégance inouïe. C’est l’aspect baroque de son jeu, affects baroques qu’O. Welles a utilisés dans son film Le Procès.

 

R. Schneider ne cesse de se retourner dans le plan. R. Schneider s’expose au ça tourne de la caméra en se retournant sans cesse à l’intérieur du plan. O. Welles a superbement saisi et même exhibé cette torsion essentielle de R. Schneider à l‘intérieur du plan. A la fin de la scène où R. Schneider parle avec A. Perkins allongés sur un tas de papier journaux, le juge interprété par Welles alors les appelle de la pièce d’à côté  Perkins et Schneider se lèvent et Welles choisit alors plutôt qu’un simple raccord dans le mouvement de redoubler ce raccord dans le mouvement. En effet à l’instant où R. Schneider se retourne surprise par la voix du juge et se met debout, et de même encore lorsqu’elle court un peu inquiète sur le tas de papier journaux pour rejoindre le juge, Welles redouble presque instantanément les raccords dans le mouvement  de ses gestes d’hésitation.

 

Ainsi à force de se retourner à l’intérieur du plan, c’est comme si R. Schneider obligeait à retourner le plan lui-même. En se retournant à l’intérieur du plan, R. Schneider ne cesse de redoubler le plan, de redoubler la prise du plan. R. Schneider révèle ainsi que chaque plan a une doublure, que chaque plan a une ombre secrète, quelque chose comme une coquetterie dans l’œil ou dans le cou, la coquetterie d’un œil à l’intérieur du cou ou d’un cou à l’intérieur de l’œil.

 

Dans le Procès d’Orson Welles, R. Schneider se retourne encore par exemple pour parler à A. Perkins et elle lui dit alors ceci. « J’ai une difformité physique. Venez, je vais vous montrez  ma difformité physique. » Ainsi emblématiquement, à chaque fois que R. Schneider se retourne à l’intérieur du plan, ce serait afin de regarder, de parler ou de sourire une difformité physique, une difformité physique comme une déformation professionnelle.

 

Il y a une torsion, une révulsion, une convulsion même, une torsion intrinsèque, une révulsion intrinsèque, une convulsion intrinsèque dans les attitudes de R. Schneider. Le jeu de R. Schneider semble illustrer idéalement la formule d’André Breton « La beauté sera convulsive ou ne sera pas. » Il y a une torsade baroque du désir chez R. Schneider, torsade baroque du désir que Clouzot a aussi brutalement mis en exergue dans les essais de L’Enfer quand R. Schneider joue à propulser lascivement un ressort à la surface de son ventre par les soubresauts délicats de son corps. 

 

R. Schneider à la fois s’angoisse et se love à l’intérieur du plan. R. Scheider à la fois s’inquiète et s’enroule à l’intérieur du plan. R. Schneider s’enlace presque au plan. R. Schneider se love à l’intérieur du plan comme un animal traqué, splendide honte inquiète de zibeline bizarre, de zibeline bizarre aux yeux de jade.

 

 

R. Schneider porte les traits de son visage légèrement au-dessus et au-devant de son visage même. R. Schneider invente un port des traits comme il y a un port de tête, port des traits souvent surligné par la netteté de son maquillage. Ainsi c’est comme si R. Schneider faisait tenir la pose aux traits de son visage. Cette pose, cette exposition des traits du visage est cependant sans aucune dureté. A la différence de celle rigide des mannequins, cette exposition des traits apparait moelleuse et comme respirée, à la fois inhalée et exhalée, exposition disponible, exposition cinégénique plutôt que photogénique. En effet, R. Schneider n’expose pas les traits de son visage à l’œil de la camera, R. Schneider expose plutôt les traits de son visage au temps du plan.

 

Ce que filmeront à l’inverse Zulawski dans L’Important c’est d’Aimer ou encore Sautet dans Mado c’est l’effondrement de cette pose des traits de R. Schneider, l’affaissement, la retombée, l’implosion presque de ses traits à la fois à l‘intérieur de son visage et en dehors du plan (comme l’exuvie d’une mue de serpent).

 

L‘étrangeté du jeu de R. Schneider c’est ainsi l’alliance de la volte-face du corps, de la convulsion du corps, de la volte-face convulsive du corps et de la pose hiératique des traits du visage, c’est la bizarrerie d’une pose hiératique des traits du visage à l’intérieur même de la convulsion du corps. La bizarrerie de R. Schneider c’est ainsi d’allier l’hystérie du corps au stoïcisme du visage.

 

Le sourire de R. Schneider oscille parfois entre le vicié et le vicieux. Le sourire de R. Schneider inhale un air vicié et exhale un air vicieux. R. Schneider est ainsi avec Lauren Bacall et Marlene Dietrich, la plus efficace fumeuse de cigarette du cinéma. Dans les essais de L’Enfer, Clouzot a filmé de façon somptueuse ce sourire fumé de Romy Schneider.