Bonjour Laurent,

 

 

 

 

A propos de Dans L’Indifférence de l’Arbre de C. Ducos.

 

 

 

« L’arbre si parfaitement connait le goût du gouffre il en savoure à chaque instant le vertige. »  C’est la phrase du recueil que je préfère. Je trouve la formule « le goût du gouffre » à la fois très simple et très belle. Ce qui me plait aussi c’est la relation entre la saveur et l’équilibre. L’arbre savoure ainsi à bras déployés l’équilibre d’apparaitre entre terre et ciel, le vertige d’équilibre d’apparaitre en terre et ciel. L’arbre apparait précisément comme ce qui parvient à chaque instant à relier la terre au ciel, à trouver un lieu de contact, un lieu de contact exubérant, un lieu de contact à la fois exalté et tranquille entre terre et ciel.

 

 

« Ce que l’arbre accueille dans son ouverture ce n’est pas la lumière c’est l’accueil lui-même. » 

 

Oui en effet, cela ressemble à du Heidegger. L’arbre accueille l’équilibre. L’arbre accueille le vertige de l’équilibre. L’arbre accueille comme il cueille à le vertige d’équilibre de tenir en terre et ciel.

 

 

« Verticalité de l’arbre effondrement de l’horizon  »

 

 La formule est assez étrange. Il y aurait quelque chose à l’intérieur de l’arbre qui parviendrait à ruiner la ligne de l’horizon, la ligne de loi phénoménologique de l’horizon. J’ai en effet le sentiment que l’arbre parvient à relier la terre et le ciel sans utiliser l’horizon. Il y aurait ainsi une sorte de combat secret entre l’arbre et l’horizon pour apparaitre comme le lieu de rendez-vous de la terre et du ciel, le lieu de rencontre de la terre et du ciel.

 

 

Le livre de Ducos est un livre subtil. Ducos dit bien le décalque de vibration des feuilles de l’arbre. « Cette lumière illuminant les feuilles tendres ». Son évocation de l’arbre me semble cependant un peu diaphane. Je ne suis pas certain qu’il parvienne toujours à dire avec intensité la volonté de paralysie souveraine de l’arbre. Ce que Ducos ne parvient pas toujours à dire c’est l’incroyable ténacité de l’arbre. L’arbre apparait comme le symbole de la ténacité, le symbole de la ténacité tranquille. L’arbre apparait comme le symbole exubérant de la ténacité tranquille. « Avec l’arbre on en revient toujours à ce là. » L’arbre affirme en effet l’avoir lieu, la ténacité de l’avoir lieu, la ténacité de l’avoir lieu souverain, la ténacité tranquille de l’avoir lieu souverain.

  

 

Ducos évoque malgré tout avec précision la puissance d’absorption de l’arbre. « Dans la méditation de la parfaite inutilité de toute méditation l’arbre en son entier absorbé. » L’arbre apparait en effet absorbé à l’intérieur de l’ouverture de son aveuglement, absorbé à l’intérieur de l’équilibre de son aveuglement, ou plutôt absorbé par l’équilibre de son aveuglement, absorbé par l’ouverture de son aveuglement, l’ouverture d’équilibre de son aveuglement, l’ouverture d’équilibre de son aveuglement tenace.

 

 

« Il tombe dans le haut »

 

L’arbre tombe par son envol. L’arbre tombe par la parure de son envol, par la parure d’aveuglement de l’envol, par la parure d’envol de l’aveuglement, par la parure d’envol enraciné de l’aveuglement.

 

 

« L’arbre n’entend rien au bavardage des saisons. »

 

L’arbre apparait ainsi superbement indifférent au langage de sa nature. L’indifférence de l’arbre serait d’abord celle envers le babillage cyclique de la nature. Le cycle des saisons n’est pour l’arbre qu’un habillage-babillage de mode. La formule me semble malgré tout surtout exacte à propos de l’arbre hivernal. L’arbre estival entend à l’inverse ce bavardage des saisons et c’est parfois même comme si au printemps ou en été l’arbre se berçait avec le ronronnement de ses feuilles à l’intérieur du vent.

 

 

 

« Aux hommes de cette terre, le frémissement des feuilles défiées par le vent doit donner des frissons, et ils se regardent d’un air interrogateur, comme s’ils se demandaient ce que signifie, à quoi fait allusion cette rumeur spectrale, vitreuse, éteinte, bruit de pas d’un marcheur invisible. Toute la bibliothèque du monde est encore pendue aux branches, enclose dans les écorces, accrochée aux racines. La danse des feuilles est-elle d’inquiétude ou de joie, a-t-elle un sens caché, leur fait-elle signe ? Les habitants de cette terre sans dates ni frontières sont tentés d’écouter - mais d’écouter quoi ? Et ce flot strident de semblants de paroles leur donne comme un pressentiment de folie qui ne leur déplait pas. »  G. Manganelli  (Discours de l’Ombre et du Blason)

 

 

 

 

Post-scriptum.

 

 

Je t’envoie des Notes autour du Poème Exacerbé de F. Jacqmin un jour prochain. 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                    A Bientôt        Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

Merci Boris de cette lecture de Christian Ducos. Puis-je la lui transmettre ? (…) Mon ordinateur est en panne. Un orage. J'espère que le disque dur n'est pas grillé. 

 

(…)

 

Charles-Mézence Briseul me confirme la publication du Grand chosier, malgré un refus d'aide du CNL. Il m'évoque un projet avec toi. 

 

Merci pour la citation de Manganelli (il faut que j'achète ce livre).

 

Hâte de voir tes notes sur le Poème exacerbé de Jacqmin. 

 

Amitiés,

 

Laurent

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bonjour Laurent,

 

 

 

Je suis extrêmement heureux que Le Grand Chosier soit ainsi bientôt édité.

 

 

Une phrase de Barthes comme ça. « Comment s’enfouir dans du léger ? » (Citation de mémoire). Et citer de mémoire serait qui sait précisément le geste de s’enfouir dans du léger. De même les arbres parmi la brume semblent citer de mémoire leur apparition.  

 

 

Pour l’envoi de la lettre à propos de son livre à C. Ducos, à condition que tu l’envoies en entier (y compris la citation de Manganelli), c’est d’accord.  

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                    A Bientôt        Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

Oui, les arbres, l'apparition et la mémoire ensemble s'emmitouflent dans la brume.

 (…)

 

 

Bien à toi,

 

Laurent