Bribes autour de Res Rerum. Notes en marge de La Sensation de la Réflexion de J. Starck.

 

 

 

 

 

Bonjour Laurent,

 

 

 

 

la lettre est l’image de la chose dans la chose

 

Par cette intuition de la lettre comme image, tu es extrêmement proche d’un motif de Jaffeux. En effet, pour toi la lettre est l’image de la chose ou plutôt l’image du son de la chose. Pour toi la lettre est l’image à la fois de la résonnance et du raisonnement de la chose, c’est à dire aussi l’image de sa vibration, l’image de sa vibration mentale et même de sa vibration rationnelle. Il y a ainsi pour toi un son secret qui se trouve à l’intérieur de la chose. La chose apparait ainsi comme un diapason, un diapason de la parole. Le son taciturne de la chose survient paradoxalement comme le diapason de la parole humaine. 

 

 

(Par le jeu d’apostropher l’être avec la lettre, la réosophie a aussi un aspect pataphysicien. C’est pourquoi Res Rerum est à l’évidence ton texte le plus proche de la poésie de Jarry.) 

 

 

 

faire de sa parole un regard sur le silence des choses 

 

Transposer le regard dans l’ouïe et faire de cette ouïe un instrument de seconde vue : tel est l’acte de l’imagination selon Laurent Albarracin. 

 

 

Comme P. Claudel tu sais que l’ouïe regarde et que l’œil écoute. Ecrire pour toi ce serait à la fois le geste qui transforme la parole en regard sur le silence des choses et le geste qui transforme le silence en écoute de la parole des choses. 

 

 

« Nous entendons l’être (…) Nous entendons l’être comme un âtre de lait. »

 

Cette manière d’entendre l’être serait à rapprocher de ce que Deleuze nomme la clameur de l’être, clameur de l’être qui selon Deleuze apparait comme une univocité de la multiplicité. Cette clameur univoque de l’être par laquelle « Tout est un parce que tout est unique. L’unité du tout est l’unicité du tout. » ressemble aussi à ce que E. Hello disait à propos de la lumière de Dieu pour les hommes du Moyen-Age. Hello disait que les hommes du Moyen-Age étaient semblables aux fleurs des champs, que ces hommes avaient en effet chacun la liberté d’apparaitre de manière différente à la fois selon leurs caractères et selon leur travail précisément parce qu’ils étaient illuminés par une seule et même lumière, parce qu’ils étaient exposés à l’unité de la lumière divine. (Citation à retrouver) Il y aurait ainsi pour toi une sorte de tunique de l’unique, tunique de l’unique qui serait tissée par une écoute de la lumière, par une entente de la lumière, une écoute de la lumière de l’être, une entente de la lumière de l’être. 

 

 

 

Le « cercle-brisé-de-la-chose » par le mot est « une spirale, ou un aiguillon qui relance la chose dans la chose 

 

la sphère brisée est une spirale qui relance perpétuellement le geste sphérique de se rejoindre. 

 

la spirale tautologique du langage est le foyer symétrique de cette fuite éperdue des choses vers leur accomplissement. 

 

 

Ainsi pour Julien, la figure de la spirale serait un motif essentiel de ton écriture. La spirale tautologique du langage, je trouve la formule surprenante et intéressante. Je serais à ce propos curieux de savoir ce que tu en penses. A priori en effet la tautologie semble plutôt un cercle, la tautologie semble structurellement circulaire. Si la tautologie est une spirale c’est alors que le verbe être de la tautologie n’est pas un signe égal, que le verbe être serait plutôt un indice, un indice de décalage ou encore l’indice d’une tournure. Cette spirale c’est aussi celle d’une oreille, une oreille grammaticale, une oreille syntaxique et qui sait même celle de l’oreille de l’être, l’oreille grammaticale de l’être. Il y aurait ainsi une oreille de l’être, une oreille grammaticale de l’être qui tourne sur elle-même, qui tourne sur elle-même à la vitesse de la lumière.  

 

 

une spirale, ou un aiguillon qui relance la chose dans la chose 

 

C’est un point d’effondrement dans la chose qui fait jaillir la chose 

 

 

Ainsi le res de la chose serait un ressort. Le res de la chose serait le ressort par lequel à la fois elle se tisse et se relance, le ressort par lequel elle tisse métalliquement, mentalement, mentalliquement l’élan de sa contradiction, l’élan comme la paralysie de sa contradiction, l’élan de paralysie de sa contradiction. 

 

 

La chose ainsi se chausse du ressort de sa contradiction comme de la contradiction de son ressort. La chose trouve ainsi chose à son pied. La chose trouve chose à son pied de la lettre. La chose trouve chose à son pied d’oreille de la lettre, pied d’oreille de la lettre par lequel elle se contredit, par lequel elle ose se contredire. 

 

 

La chose apparait à la fois comme la clef et le ressort d’elle-même. La chose se chose comme clef de son ressort et ressort de sa clef. Et cette clef-ressort ou ce ressort-clef c’est l’indice même de son secret. 

 

 

où le rapport entre mot et chose ne se fixe jamais mais se ressemble toujours. 

 

la ressemblance sans fin à soi d’une chose dans l’analogie sans cesse relancé d’un jeu de mot. 

 

 

Il y aurait pour toi comme un ressort de la ressemblance. Pour toi la ressemblance est le ressort du même, le ressort mental du même, le ressort d’éblouissement du même, le ressort d’éblouissement mental du même. Il y a pour toi un ressort de la ressemblance inachevée, un ressort qui résulte de l’inachèvement même de la ressemblance. Pour toi la ressemblance inachevée résulte, résulte de même, résulte comme ressort du même, comme ressort-clef du même, comme ressort-clef du secret, comme ressort-clef du secret même. 

 

 

Ressort, ressentir, ressembler. C’est comme si par une entente latine ou romaine de la matière, la chose res était pour toi un préfixe ou une préposition du verbe ressentir et du verbe ressembler. (Comme pour Ponge le pré était la préposition de la matière, la préposition de la terre herbeuse, la préposition de la terre humide et herbeuse.) 

 

 

cette intuition que le regard est parfaitement réversible, autrement dit que les choses se regardent dans notre regard et que nous sommes d’une certaine façon regardés par ces choses. 

 

 

En cela ton attitude est profondément chazalienne. A l’instant où tu regardes la fleur tu sais aussi que la fleur te regarde. Et cet échange de regards, d’égards de regards entre la fleur et toi  serait ce que tu nommes la connaissance. Je te l’ai déjà dit, je n’ai pas ce sentiment. En effet je n’ai pas le sentiment que la chose que je contemple me regarde à l’instant où je la contemple. Et cela d’abord simplement parce que contempler une chose ce n’est pas regarder une chose c’est plutôt essayer de sentir la chose avec les cinq sens à la fois. Et à l’instant où je contemple une chose avec les cinq sens à la fois, je ne sais pas alors comment cette chose me contemple. J’ai ainsi le sentiment que la contemplation survient plutôt comme un don que comme un échange. C’est pourquoi la contemplation n’est pas un acte de connaissance, la contemplation apparait plutôt comme un geste de salutation. 

 

 

 

Un mélange de coquetterie et de raillerie, telle est la rouerie de l’image 

 

Il y a en effet chez toi quelque chose comme une coquetterie humoristique de l’image. Il y a une moquerie à la fois solennelle et discrète à l’intérieur de chacune de tes images, la moquerie solennelle et discrète du savoir même, ou plutôt la moquerie solennelle et discrète d’une coïncidence du savoir et du non-savoir, d’une coïncidence de la connaissance et d’un je ne sais quoi, d’un je ne sais quoi embué, d’un je ne sais quoi comme embué de clarté, d’un je ne sais quoi embué d’étincelles. Il y a une buée d’étincelles à l’intérieur du timbre de ta phrase, une buée d’étincelles à l’intérieur du timbre de ta voix, à l’intérieur du phrasé de ta voix, buée d’étincelles qui est aussi celle d’une fontaine, celle d’une fontaine de tact.  

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                      A Bientôt                      Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

Cher Boris,

 

merci de ta lecture. Je souscris à tous ces beaux prolongements que tu donnes, sauf un : je ne dis pas du tout (je crois) que la chose me regarde quand je la regarde, qu'il y aurait un échange de regards entre la chose et moi. Au contraire je dirais plutôt que la chose ne regarde qu'elle-même, et même qu'elle s'abrite de nos regards, qu'elle se les garde pour elle, ses regards comme les nôtres. Je parle quelquefois du "quant-à-soi" de la chose : elle se tient sur la réserve, se retranche en elle, dans son opacité, ou bien elle s'agite mais alors tous les bonds qu'elle fait, toutes les acrobaties dont elle est capable, c'est pour échapper à notre saisie de ce qu'elle est. Au fond tous les efforts que nous produisons pour l'appréhender ne font que l’approfondir dans le sens d'elle-même. Ses égards sont plutôt une pudeur qu'un regard vers nous. Mais en vérité elle est entièrement intéressée par elle-même, elle est occupée à être et à persévérer.

 

Si nous n'atteignons pas la chose, c'est justement en raison de la spirale : si la chose faisait boucle strictement avec elle-même, il serait facile de l'accrocher comme on accroche un anneau. Or la chose dévie perpétuellement en elle, elle effectue un mouvement d'évitement autant qu'elle fait retour vers elle. Il va de soi que la tautologie n'est pas un pur signe d'égalité ou peut-être c'en est un, mais justement il transforme du tout au tout la chose. Je veux dire que ce signe de l'égalité métamorphose la chose en une opération. Si A = A alors A = (A = A). Du coup, ce signe d'égalité fait que A n'est plus égal à A. Et c'est pourquoi la ressemblance est plus forte que l'identité. La ressemblance c'est la prise en compte de l'altération de la chose par le fait qu'elle est égale à elle. La ressemblance ne réduit pas la chose à elle seule, mais elle l'augmente de sa relation à soi.

 

Mais j'adopte volontiers le terme d'indice à la place de celui de signe : avec l'indice la chose est dans un rapport direct et contigu avec soi, dans un rapport matériel et non plus seulement sémiotique et logique. Et dans l'indice il y a le déictique du cela, le doigt de juste mesure qui ne montre qu'avec circonspection.  Le doigt désigne et même touche mais aussitôt il se retire, il apporte juste la quantité de peu nécessaire pour que la relation entre les choses, entre la chose et la chose, soit vraie, c'est-à-dire indescriptible.

 

Bon tout cela mériterait d'être développé. On en reparlera, si tu veux.

 

Tiens j'en profite pour t'envoyer un lien vers un compte-rendu du livre de Leperlier :

 

Peut-être Emmanuel te l'a envoyé ? Si non, c'est un livre à lire, pas tellement pour ses aspects polémiques, mais parce qu'il est question de l'imagination, et ça t’intéressera.

 

Amitié,

 

Laurent

 

 

 

 

 

 

 

Quant à la spirale, figure importante c'est sûr,