Tautologie et Maladie 

 

 

 

Bonjour Laurent, 

 

 

 

Y’a-t-il un homme tautologique ? A quoi ressemble l’homme tautologique ? L’homme tautologique est-il un homme en bonne santé, un homme malade ou un homme convalescent ? Je dirais plutôt que l’homme tautologique, c’est l’homme convalescent. L’homme convalescent à savoir l’homme qui a conscience de son invalidité (de son handicap) et qui parvient cependant aussi à l’atténuer, à le modifier pour retrouver l’équilibre de la santé. L’homme tautologique serait l’homme convalescent c’est à dire l’homme qui cherche à retrouver l’équilibre de son métabolisme. Ou encore l’homme qui médite son métabolisme, l’homme qui médite l’équilibre imminent de son métabolisme, l’homme qui médite les retrouvailles avec l’équilibre de son métabolisme. Ou bien encore même l’homme qui médite l’ennui de son métabolisme, l’équilibre d’ennui de son métabolisme. 

 

 

Il est à ce propos important de ne pas oublier que la phrase célèbre de Baudelaire « L’art c’est l’enfance retrouvée à volonté. » se trouve à l’intérieur d’une méditation à propos de la convalescence. « Or la convalescence est comme un retour vers l’enfance. Le convalescent jouit au plus haut degré, comme l’enfant, de la faculté de s’intéresser vivement aux choses, même les plus triviales en apparence. Remontons, s’il se peut, par un effort rétrospectif de l’imagination, vers nos plus jeunes, nos plus matinales impressions, et nous reconnaitrons qu’elles avaient une singulière parenté avec les impressions, si vivement colorées que nous reçûmes plus tard à la suite d’une maladie physique, pourvu que cette maladie ait laissé pures et intactes nos facultés spirituelles. » Ainsi pour Baudelaire, l’artiste c’est l’homme malade qui reste pourtant lucide, c’est l’homme malade à la pensée cependant intacte. Et pour Baudelaire, il y a aussi à ce propos une sorte de congestion cérébrale de l’imagination. Pour Baudelaire, l’imagination ressemble à une congestion de lumière, une congestion cérébrale de lumière. « L’enfant voit tout en nouveauté; il est toujours ivre. Rien ne ressemble plus à ce qu’on appelle l’inspiration, que la joie avec laquelle l’enfant absorbe la forme et la couleur. J’oserai pousser plus loin ; j’affirme que l’inspiration a quelque rapport avec la congestion, et que toute pensée sublime est accompagnée d’une secousse nerveuse, plus ou moins forte, qui retentit jusque dans le cervelet. » 

 

 

Je cite le dictionnaire. « Convalescence : période pendant laquelle le fonctionnement normal de l’organisme se rétablit. » La convalescence c’est donc la période de recherche de la normalité de l’organisme. Il y a ainsi une sorte de convenance de la convalescence, de convention de la convalescence. La convalescence respecte les convenances de la santé, les conventions de la santé, les convenances morales de la santé, les conventions morales de la santé. Le corps du convalescent est en effet obligé de retrouver les stéréotypes collectifs de l’espèce, la colle collective de l’espèce. Le convalescent ne cherche pas à retrouver le corps singulier, le convalescent cherche d’abord à retrouver à retrouver le corps spécifique. Et c’est seulement lorsque le convalescent a retrouvé son corps spécifique qu’il essaie de retrouver sa chair unique (le corps spécifique étant le piedestal de la chair unique). A l’inverse une des marques de la folie c’est le désir d’atteindre la chair unique en abolissant le corps spécifique. C’est l’exemple du corps sans organes d’Artaud. 

 

 

La convalescence n’est pas la transmutation de toutes les valeurs, ce serait plutôt la coalescence de toutes les valeurs, la coalescence engourdie, la coalescence spongieuse presque des valeurs, la coalescence chloroformée des valeurs. Le corps convalescent évolue parmi une colle de coton. La convalescence médite la colle de coton de l’espèce, la colle de coton du spécimen humain. Le corps convalescent évolue parmi la colle de coton de la convenance, la colle de coton de la convention, la colle de coton de la convenance spécifique, la colle de coton de la convention spécifique. 

 

 

« La santé uniforme dans toutes les parties du corps mettraient tous nos sens en plateau. Le décalage physiologique est aussi nécessaire aux choses de la sensation, que les contrastes  dans l’esprit à l’efflorescence des idées. »  Chazal

 

Il y a ainsi une force sensorielle à l’intérieur de la maladie. Ou plutôt ce qui provoque la sensation ce n’est pas la santé du corps, ce qui provoque la sensation c’est l’équilibre de la chair, l’équilibre de la chair que ce soit à l’intérieur de la santé ou à l’intérieur de la maladie. Ce qui donne à sentir c’est l’équilibre de la chair à l’intérieur de la santé comme à l’intérieur de la maladie. Cet équilibre de la chair qui parvient à composer avec les différents décalages physiologiques, ce serait le métabolisme ou qui sait même ce que tu appelles le métabole. Ainsi le métabole c’est le corps en ce qu’il apparait en deçà de la différence santé-maladie. L’important pour celui qui veut sentir et surtout imaginer ce n’est pas d’être en bonne santé ou à l’inverse d’être délibérément malade. L’important pour celui qui veut imaginer c’est de parvenir à donner une forme précise aux flux d’impureté de la chair. 

 

 

 

Quelques phrases de Chazal à propos de la maladie.

 

« On n’entend pleinement sa voix que dans la maladie. » « L’homme ne sent sa propre odeur que dans la maladie. » « La maladie allonge l’ouïe, raccourcit la vue, estompe le goûter, exacerbe le toucher, et tue l’odorat. » « La maladie nous rend clairvoyants du dos et aveugles des doigts. » 

 

 

Une hypothèse. L’allégorie tautologise l’allergie. 

 

Il y a sans doute aussi une puissance de métamorphose à l’intérieur de la maladie. En effet par la maladie, nous disposons de pouvoirs différents de ceux de la santé. « On tombe souvent très malade pour se transformer en quelqu’un d’autre, et ce n’est pas sans déception qu’on se retrouve guéri. »  E. Canetti 

 

Il est à ce propos à noter que le méta de la métaphore et de la métaphysique serait aussi celui des métastases. « Métastases : aujourd’hui le mot grec le plus répandu. Métamorphose devrait prendre la relève. »  E. Canetti 

 

 

 

Enfin cette phrase étrange de Bachelard.

 

« Qu’un poète regarde au microscope ou au télescope, il voit toujours les mêmes choses. »

 

Je dirais plutôt. Le geste de la poésie apparait comme celui à la fois de regarder les étoiles au microscope et de regarder les microbes au télescope. 

 

 

 

Tu le sais, nous en avons déjà parlé, je ne parviens pas exactement à comprendre comment tu poses le problème du mal. J’ai à ce propos l’impression que pour toi il n’y a pas de mal, ce qu’il y a ce serait plutôt la maladie. Pour toi il n’y a pas de mal spirituel, il y a uniquement les maladies du corps. Et face à ces maladies du corps, la technique la plus efficace c’est la patience, c’est de rester patient. Le malade c’est en effet selon le vocabulaire médical le patient. Cette patience envers la maladie serait un des aspects de ton stoïcisme et qui sait peut-être la forme même de ton stoïcisme. Pour toi d’ailleurs la maladie n’est pas à combattre, la maladie te semble en effet une efflorescence parmi d’autres du monde. Ce que tu indiques explicitement de manière si étonnante et si intense à l’intérieur de La Postface aux Choses du Grand Chosier. « Mais enfin qu’est-ce qui n’irait pas ? Le monde se porte comme un charme (…) La maladie fleurit les corps. La mort renouvelle joliment l’espèce. Les râles de douleur sont la plus juste expression de celle-ci. » Cela serait à rapprocher d’une phrase de Chazal.     « Les fleurs savent rire, les fleurs savent sourire, les fleurs savent même prendre un air triste, allant jusqu’au désespoir - mais aucune d’elles ne sait pleurer. La nature est totalement stoïque, et c’est pour cela qu’elle nous est le plus sublime exemple de courage, et notre plus grande consolatrice. »  

 

 

 

 

 

 

                                                                                                             A Bientôt               Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je réponds très vite et sans trop réfléchir ni argumenter.

 

Je ne suis pas sûr qu'il y ait un "homme tautologique", ou alors ce serait celui qui se retire devant l'autonomie des choses.

 

Sur la question du mal, je dirais que le bien est d'acquiescer, et le mal de refuser. (Je crois que politiquement ou philosophiquement je suis profondément un conservateur sceptique (ou l'inverse), à la Montaigne, un partisan du statu quo, je suis toujours du parti de l'état des choses. En ce sens je ne suis pas du tout surréaliste, je ne suis pas un révolté. Dire oui fait le bien, dire non crée le mal. Même refuser le mal serait participer au mal.

 

La maladie, c'est comme le burlesque : c'est le corps qui parle à la place de la parole. La maladie, les maladies chroniques auxquelles je suis sujet (l'allergie) m'apprennent à accepter. C'est le plus important : consentir. Tu m'avais dit une fois, au téléphone je crois, qu'il y a un plaisir de l'asthme, une jouissance de la crise asthmatique. Oui.