Envoi d’Imagination Grammaticale à Pierre Vinclair (texte aussi adressé à Laurent Albarracin, Ivar Ch’Vavar et François Huglo).

 

 

 

 

 

 

Monsieur Pierre Vinclair,

 

 

 

Dans le Cercle du Caret, vous formulez l’hypothèse d’une grammaire de l’image. Cette hypothèse m’intéresse et me plait. Vous parlez par exemple d’images de conjonctions de coordination.

 

Il y a des images de et, des images de ou, de donc, de ornicar...(…) On pourrait peut-être tenter une syntaxologie structurale de l'image. Peut-être qu'on découvrirait des modes très bizarres d'articulation, qui ne recoupent en rien nos catégories grammaticales... 

 

S’il y a une grammaire de l’image il y aurait aussi une imagination de la grammaire. Le problème reste cependant de savoir de quelle manière imaginer alors les signes grammaticaux (articles, conjonctions, adverbes, pronoms), signes qui précisément ne sont pas uniquement des signes, signes qui apparaissent aussi comme des indices, formes, symboles, emblèmes, je ne sais. Serait-il préférable d’imaginer les éléments grammaticaux à la manière de Kant c’est à dire comme schèmes, à la manière de Bachelard c’est à dire comme matériaux, à la manière de Jung c’est à dire comme archétypes, ou encore à la manière de Lyotard (ce Kant païen) comme figures d’intensités ou images-rythmes ?

 

Vous êtes très attentif aux dimensions contraignantes du langage. Et il est en effet évident que la grammaire est d’abord une structure qui ordonne et hiérarchise. En français par exemple les principales et les subordonnées ne cessent de réitérer la dialectique du maitre et de l’esclave de Hegel. La grammaire nous impose donc une structure de soumission et d’assujettissement. Il n’y aurait de subjectivité que grammaticale, il n’y aurait de subjectivité qu’à travers l’instance de la grammaire. La grammaire serait la structure de la transmission atavique du langage. La grammaire, c’est la voix de nos grands-mères qui parle en nous. Cette soumission à la grammaire serait peut-être même assujettissement à une transcendance : la remarque de Nietzsche selon laquelle (je cite de mémoire) « Nous continuerons de croire en Dieu tant que nous croirons encore à la grammaire. »

 

La représentation conventionnelle de la grammaire est le plus souvent de type anatomique. L’organisation grammaticale du discours serait semblable à celle d’un corps. Les verbes seraient par exemple des os, les noms des muscles, les adjectifs des nerfs et les conjonctions ou adverbes des articulations ou cartilages. Soit. Malgré tout chacun a le loisir d’imaginer les éléments du langage autrement. Nous pouvons par exemple proposer une forme d’imagination anatomique de la grammaire plus disparate pour utiliser un mot qu’affectionne Savitzkaya. Imagination disparate qui donnerait ainsi à sentir le menton de mais, les joues de ou, le poignet de et, les oreilles de or, le nez de ni, les cils de si, les sourcils de sinon, la salive de avec, les yeux de aussi, les aisselles de selon, la poitrine de pourtant, le cœur de presque, le cou de autour, la gorge de malgré, les seins de ainsi, les orteils de lorsque, le sternum de toutefois, les mâchoires de hormis, l’estomac de assez, le pancréas de car, les poumons de partout, les paupières de peut-être, les doigts d’ensuite, le coude de déjà, le front de parfois, le sang de sauf. 

 

La manière d’imaginer les éléments de grammaire comme fragments d’anatomie n’est évidemment pas la seule. Nous avons aussi le loisir d’imaginer ces éléments de grammaire par exemple comme des éléments chimiques. Le silicium de si, le plomb de cependant, le plutonium de plutôt, l’azote de aussitôt, le phosphore de parfois, le tungstène de ensuite, l’oxygène de autour, l’aluminium de alors, le chrome de lorsque, le sodium de ainsi, l’hydrogène de déjà, le soufre de afin de, le magnésium de malgré, le manganèse de mais, le fluor de ou, le fer de et, le zinc de donc, l’or de or, le nickel de ni, le carbone de car, le néon de selon, l’antimoine de toutefois, le titane de tandis que, l’uranium de c’est-à-dire.

 

Ou encore les éléments de grammaire pourraient apparaitre semblables à des formes animales. Le dauphin de afin de, la baleine de eh bien, le cheval de avec, l’abeille de et, la fourmi de ou, le tigre de aussitôt, l’ours de pourtant, l’autruche de toutefois, l’ornithorynque de tandis que, l’araignée de nullement, le scarabée de car, l’hirondelle de selon, le dindon de donc, l’otarie de autour, l’antilope de presque, le papillon de peut-être, le loup de partout, la sauterelle de surtout, le jaguar de déjà, le pigeon de cependant, le lombric de lorsque, le serpent de ensuite, le cygne de sinon, la salamandre de néanmoins, la chauve-souris de souvent, le squale de c’est-à-dire, la coccinelle de ainsi. Ou bien encore des formes végétales. La rose de alors, le citron de si, l’œillet de et, la tomate de ou, l’orange de or, la carotte de car, le magnolia de mais, la marguerite de malgré, la tulipe de plutôt, l’asperge de presque, le lys de ainsi, l’orchidée de comment, la pomme de pourquoi. 

 

Le problème ne serait plus alors de savoir si un écrivain respecte ou non les lois de la grammaire, ce serait plutôt de savoir quelles formes de monde il projette (inscrit) à l’intérieur des éléments syntaxiques qu’il utilise. Il me semble qu’il serait intéressant de rêver ainsi des écrivains comme Valéry, Mallarmé ou Roussel.

 

Vous formulez aussi l’hypothèse d’une fiction qui serait la chose en soi, d’une fiction qui viendrait se subsister à l’être même.

 

- la tentative à chercher de l'être avec des images me semble vaine, à moins de considérer que la fictivité du monde est précisément la chose en soi

 

Pour à la fois accompagner et transformer cette hypothèse il y aurait la remarque de Deleuze dans Dialogues à propos du et. « Substituer le Et au Est. (…) Le Et comme extra-être, inter-être (…). Penser avec Et, au lieu de penser Est, de penser pour Est. » (Dialogues). Ainsi chaque poète par son approche imaginaire de la grammaire chercherait à esquiver ou à détruire l’être. Chaque écrivain tenterait d’affirmer une forme grammaticale imaginaire qui détrône l’être. Pour Rimbaud par exemple ce serait le selon « Et voles selon ». Rimbaud esquiverait l’être avec le selon. Pour Mallarmé ce serait le Tu « A la nue accablante tu ». Mallarmé détruirait l’être avec le tu. Ce geste de détrôner l’être peut d’ailleurs aussi  s’accomplir avec des signes de ponctuation : les points de suspension de Céline, le point-virgule de Flaubert ou les parenthèses de Barthes.

 

Voilà, je ne sais si ces remarques vous seront utiles. J’avais seulement envie de vous les envoyer, étant donné que ces remarques ont d’abord été provoquées par quelques-unes de vos phrases.

                                                                                               

(…)

 

 

 

 

                                                                                              A Bientôt             Boris Wolowiec

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Réponse de Laurent Albarracin.

 

 

 

L'hypothèse de Boris d'une imagination de la grammaire me semble plus qu'intéressante. Comme nous avons désormais chacun une palette de couleurs pour nos voyelles, nous disposerions d'une chair imaginative de nos outils syntaxiques, particulière à chaque poète. A cet égard Boris serait peut-être, dans la typologie qu'il esquisse, un poète du à et du de. ​Le à de l'adresse, de la projection, du A oui en tant que projection dans l'abîme de la béance. Et du de du génitif, du complément de nom, de la possession infinie des choses. Le "problème" de B. Wolowiec, celui qu'il s'attache à résoudre, est de projeter le de dans le à, le génitif dans le génératif, la possession du nom dans la dépossession du verbe, le complément du nom dans la préposition du temps. Si l'image établit des rapports sur la base d'une ressemblance, l'usage qu'en fait Boris serait de projeter l'analogie dans l'inconnu. De faire approuver par l'inconnu (A oui) la chaîne de ressemblance qu'il élabore dans la succession sans fin des génitifs. 

 






 

 

 

Réponse d’Ivar Ch’Vavar à Laurent Albarracin.




 

(- Objet : de à à à)

 

Cher Laurent,

 

                        je suis plus intéressé par une grammaire de l’image que par l’imagination de la grammaire. Celle-ci me paraissait même un peu vaine, mais tu lui donnes un SENS, en montrant que Boris « projette l’analogie dans l’inconnu », dépassant par-là la question des « ressemblances » dans la définition de l’image ; que même il l’ADRESSE (l’analogie) à l’inconnu, pour « lui faire approuver la chaîne des ressemblances qu’il élabore dans la succession sans fin des génitifs ». Dans la poésie de Boris, ce ne serait pas la production d’images qui serait l’essentiel, mais le fait qu’il la projette et surtout qu’il l’adresse.

 

   L’adresse, en ancien français, c’est la (bonne) direction. Tout ce que je demande, tu le sais, c’est qu’il y ait du sens, une direction !

 

   Boris adresse sa poésie à l’inconnu, pour une approbation. C’est bien la signification de son titre À oui.

 

   Fraternellement,

Ivar