Bonjour Laurent,

 

 

 

 

 

Le gag donne à sentir la chose de chair de l’amnésie. Le gag donne à sentir la chose de chair de l’amnésie comme geste de silence du langage même.

 

 

 

Il y a une ressemblance entre la tautologie et le gag. La tautologie révèlerait le gag d’amnésie de l’identité même. La tautologie révèlerait le grand rire d’oubli qui sommeille à l’intérieur de l’identité même.

 

 

 

La tautologie révèlerait un aspect étrange de la nudité. La tautologie révèlerait le gag de la nudité. La tautologie révèlerait la nudité comme gag de je ne sais quoi.

 

 

 

 

 

La tautophorie révèle l’euphorie d’apparaitre à vide de chaque chose. La tautophorie porte l’euphorie d’apparaitre à vide de chaque chose. La tautophorie porte le monde à comparaitre. La tautophorie porte le monde à comparaitre sur les épaules du vide. La tautophorie porte le monde à comparaitre sur les épaules de geyser du vide.

 

 

 

La tautophorie porte le monde à comparaitre par la pulsion d’hypothèse du vide comme par la pulsion de vide de la matière. La tautophorie porte le si au sommet du ça. La tautophorie porte le si à l’extrémité du ça (pour modifier la formule de M. Brosseau Si dans Ça). La tautophorie porte le si du vide au sommet du ça de la matière comme le si de la matière au sommet du ça du vide.

 

 

 

« Cela revient au même. » La tautophorie affirme le cela revient au même. La tautophorie affirme la tentation de ressemblance du même. La tautophorie affirme le revenir au même de la ressemblance. (Et pourtant aussi cette remarque de Valéry « On ne peut pas achever de ressembler. »)

 

 

 

 

 

Aurais-tu quelques lumières sur ce mot de téléologie (auteurs qui en parleraient par exemple).

 

Il y aurait peut-être à ce propos de la téléologie des phrases à extraire du livre si singulier et étonnant d’O. Weininger Des Fins Ultimes. Par exemple à propos de la tautologie « Je ne puis admettre la logique que librement, en la prenant pour critère absolu. Le principe  A=A est le postulat par excellence ; le fait même du critère, autrement dit le fait qu’il existe un critère, est un acte de ma liberté. » Ou encore à propos de la relation entre tautologie et téléologie ceci « Le postulat A=A est impliqué (…) dans l’affirmation métaphysique que quelque chose est, dans la décision qu’il existe un parfait existant, le Bien suprême, acte que nous appelons religion. La religion (…) est la décision que prend l’homme d’avoir une fin et d’accomplir cette fin. Dieu est la fin de l’homme, et la religion est la volonté, chez l’homme, de devenir Dieu. » Donc pour résumer, ce qui garantit le postulat de la tautologie, c’est selon Weininger la croyance en Dieu. Idée assez proche de celle de Deleuze dans Logique du Sens (à propos de Klossowski). « Dieu est le seul garant de l’identité du moi, et de sa base substantielle, l’intégrité du corps. On ne conserve pas le moi sans garder aussi Dieu. »

 

 

La téléologie, dans mon esprit, ce serait de penser par exemple comme le fait JL Parant que nos yeux nous projettent dans la pensée, que nos yeux existeraient comme trace de ce que nous nous projetons par la pensée dans la pensée.

 

Pour développer cette formule (ou la clarifier si tu l’estimes confuse, ce que je ne trouve pas), il me semble que tu as l’embarras du choix. Cette formule c’est en effet le principe même du spéculaire qui insiste et subsiste à toutes les époques de la métaphysique occidentale. Cela irait de Plotin à Sartre ou Lacan en passant par N. de Cues et Maitre Eckhart (selon la loterie de ma mémoire). Cela serait aussi à rapprocher de ce que G. Agamben dans Profanations appelle l’être spécial « Spécial, l’être dont l’essence coïncide avec le spectacle qu’il donne à voir. »

Il y a une pliure de la lumière. Il y a un pli, un dépli, un repli, un surplis, une duplicité et aussi une multiplicité de la lumière (c’est pourquoi ainsi que tu le dis la lumière demande à être expliquée). Et les yeux ou plutôt la conjonction des yeux et des paupières serait ce qui révèle l’aspect de cette pliure. Les yeux et les paupières plient la lumière. Les yeux et les paupières plient spéculairement, spéculativement et aussi spécieusement la lumière.

La lumière révélerait le pli même de la finalité. Cette finalité pliée de la lumière ce serait peut-être alors celle de la monade de Leibniz (voir Le Pli de Deleuze). Il y aurait aussi pour nuancer ta formule cette phrase de Baudrillard. « La pensée (…) tout en dispersant les traces, laisse intacte la littéralité du monde, intacte la littéralité pure des objets, mais en volatilisant leur sens. » Et enfin à propos de la lumière cet avertissement de Weininger « Tout ce qui se mire est vaniteux ; tel est donc aussi le péché de toute lumière. C’est pourquoi la lumière ne peut même pas être le symbole de la grâce (ni a fortiori de l’éthique). » Sinon à propos de la téléologie il y a un article assez détaillé dans Wikipédia (Philosophie).

 

 

 

Dans le Cercle du Caret P. Vinclair propose de « tenter une syntaxologie structurale de l’image », de considérer l’image comme mode élémentaire de la syntaxe, il y parle d’image de et, d’image de ou, d’image de donc. C’est une idée proche de celle que j’avais évoqué une fois au téléphone avec toi à propos de l’imagination grammaticale. Il serait en effet très intéressant de classer les écrivains (et pas seulement les poètes) selon cette syntaxologie de l’image. Pour moi, ce serait très facile, ma syntaxe imaginaire est celle rudimentaire du complément du nom de, même si à force d’entasser ainsi d’innombrables de, je provoque ainsi aussi une forme de destruction de la complémentarité, de telle manière que les noms ne se complètent plus, ils se compilent, se compulsent ou encore se compactent jusqu’à provoquer une forme de contentement extatique. Pour toi, pour ce qui serait ta syntaxe imaginaire, il me semble que tu utilises souvent la préposition dans

« Marquant le lieu, indique le rapport qui existe entre deux choses dont l’un contient ou reçoit l’autre » dit le dictionnaire). Malgré tout, je ne sais pas si cette insistance du dans à l’intérieur de tes textes est un indice syntaxique ou simplement thématique. Il est évident que tu as un goût pour l’intériorité, l’intimité, le contenu-contenant du secret. Je ne suis pas certain cependant que la préposition dans ait pour toi une valeur syntaxique structurante, une valeur syntaxique essentielle.

 

 

 

En consultant le dictionnaire je viens de remarquer pour la première fois la proximité lexicale  entre le mot dans et le mot danse. Il y aurait ainsi une danse du dans, une danse du dedans,quelquechose comme une chorégraphie invisible des organes à l’intérieur du corps (je me demande à l’instant si cela n’a pas déjà été dit par Gherasim Luca). J’ai beaucoup de difficulté à imaginer cela sans l’associer à un aspect pathologique, à une vision de maladie. J‘aurais en effet plutôt le sentiment de la danse comme inscription de la santé de la chair au dehors, de la santé de la chair jusqu’au dehors, jusqu’au dehors de l’espace.

 

 

 

 

 

A propos de ma réticence envers la logique, j’ai retrouvé ceci extrait d’un livre en chantier. Tournures de l’Utopie.

 

 

 

La logique confond la différence et la négation. Pour la logique la différence de b est non-b, la différence de b égale non-b. Pourtant la table apparaît différente de la chaise. Malgré tout la table n’anéantit pas la chaise. La table apparaît différente de la chaise sans abolir la chaise. La table apparaît parfois dans le même espace que la chaise. La table apparaît à proximité de la chaise. La table partage l’espace avec la chaise. La folie de la logique est de faire croire que l’espace n’existe pas.

 

 

 

La folie de la logique est de faire comme si il n’y avait qu’une place pour la multitude des choses et qu’ainsi chaque chose devait anéantir les autres choses pour pouvoir occuper cette place, la place exclusive du sens, la place exclusive du tout. Malgré tout, c’est précisément parce que les choses partagent l’espace que le monde apparaît illusoire et insensé. C’est précisément parce que les choses surviennent à l’intérieur d’un seul et unique espace que le monde apparaît miraculeux et insensé. (Le monde serait un univers sensé soit s’il n’y avait qu’une place, la place du tout pour la multiplicité des choses soit si chaque chose ne disposait que d’une place à jamais identique parmi l’espace.)

 

 

 

 

 

(…)

 

 

 

Deux phrases des Eaux Profondes de Roger Munier.

 

« Le pur silence permet d’entendre comme le travail secret des choses occupées à être. »

 

« Si la chose n’était que soi, elle n’aurait pas sur nous ce pouvoir. Si elle n’était pas en elle-même autre qu’elle-même, elle ne donnerait pas lieu au dire ou à toute autre répétition d’elle. »

 

 

 

Une phrase de La Poésie n’est pas Seule de M. Deguy.

 

« La métaphore serait le secret du langage, le passage secret (offert, retiré dans sa patence, empruntable « sans s’en apercevoir » léthargiquement) du langage à son dedans, la (re) mise au dedans, en abime, de son dedans pareil au dehors ; la genèse du comme, ou génitivité du génitif.  » 

 

 

 

 

 

                                                                                                       A Bientôt        Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cher Boris,

 

merci de l'envoi des "bribes"

 

où plein de choses se disent et résonnent et me plaisent et me nourrissent. J'essaierai

 

d'y répondre une autre fois.

 

 

 

(…)

 

 

 

A bientôt,

 

Laurent

 

 

 

 





 

Lettre de Laurent Albarracin aussi adressée à Ivar Ch’Vavar, Pierre Vinclair et François Huglo. 

 

 

 

Chers tous,

 

Petite méditation sur l'image-gag

 


1. Il se trouve que le mot gag est un palindrome : on peut le lire dans les deux sens, à rebours, c'est-à-dire que lorsqu'une formulation touche au gag, elle détruit aussi bien qu'elle prouve ce qu'elle avance. Il y a un effet de doute maximal qui se produit lorsque s'énonce un gag. Ce qui s'énonce là comme vérité se dénonce comme vérité. L'image-gag est l'image qui apporte une preuve par le démenti. Une chose est vraie dans le gag parce qu'elle est fausse, parce qu'on ne peut pas tenir sa vérité pour assurée. Toute chose vraie vacille. Elle a deux bouts dont aucun ne permet de la tenir entièrement. Seul le gag palindromique permet de la parcourir dans tous les sens. L'image-gag s'autodétruit comme une bombe : sa surprise est énorme, donc son effet de vérité puissant. Le gag fait mouche (non pas l'insecte, mais le souffle de l'explosion qui éteint la chandelle).

 

2. Le gag, parce qu'il est bref, fonctionne en effet comme une percussion, comme un gong, un gong hagard qui provoque l'hébétude. Le gag fait rire, c'est-à-dire qu'il provoque une oxygénation défensive, seul recours devant le mystère et l'évidence que le gag convoque. Il est imparable, sinon par le rire qui est bien une parade.

 

3. "L'avenir logique de la métaphore serait le gag." Il est son avenir logique, celui auquel on peut s'attendre, et son avenir est logique, du côté du Logos. Il résonne (comme gong) et il raisonne : il réfléchit, il renvoie à soi, il s'interroge (il se courbe en soi-même à la manière d'une question qui interroge le monde).

 

4. Le gag est indéniable. Parce que burlesque, il est du côté du corps, du réel. Le réel, c'est ce qui dépasse le (et du) réel. Le réel c'est ce qui dépasse la fiction. Le réel c'est ce qui excède ce qu'on pourra jamais en dire et en penser. L'image-gag est une image pleine à craquer, qui fait craquer ses propres coutures, qui ne se contient plus et dont les connotations sont inépuisables. L'image-gag donne à penser comme le réel donne à penser. L'image-gag ne pense pas, n'épuise pas le réel, mais oblige à penser le réel comme quelque chose d'impensable (de saugrenu, dit Barthes). L'image-gag, c'est donc l'intrusion du corps dans la langue (du corps non comme thème mais comme effet d'épaisseur soudaine de la langue).

 

Bien amicalement à vous,

 

Laurent