Notes autour de La Dimension d’Inconnu de Roger Munier. 

 

 

 

 

A propos de la simple apparition de l’inconnu, eh bien j’ai le sentiment que je suis intégralement d’accord avec Munier. Il a ainsi plusieurs phrases auxquelles j’acquiesce sans aucune hésitation. « Nous baignons dans l’inconnu (…) Il y a l’inconnu comme indéchiffrable, mais dont on peut penser qu’il sera un jour déchiffré. (…) Et il y a l’inconnu comme inconnu, l’inconnu du connu lui-même, présent ou futur, qui maintient sur toutes choses sa zone d’ombre. » Cependant à propos de la manière d’approcher cette présence de l’inconnu, nos attitudes sont alors très différentes. C’est toujours le même problème, Munier pense l’inconnu, il n’imagine jamais l’inconnu, il n’imagine jamais l’inconnu de manière matérielle. Et parce qu’il pense l’inconnu sans l’imaginer, Munier a alors tendance à assimiler l’inconnu à l’invisible et parfois même au non-être. Il retrouve alors l’idée très heideggérienne, d’un être qui serait creusé de néant. « Le présent de la chose, en lui-même n’est rien. (…) Tout présent n’est qu’une absence : une absence arrêtée là. » 

 

 

Sa philosophie est alors celle d’un pur spectateur. Pour lui les flocons de neige ne sont que des phosphènes, des sortes de phosphènes de douceur. Quand il parle de la neige c’est tout juste s’il indique que la neige apparait comme la matière même du froid. Il y a aussi malgré tout à propos de la neige des phrases que je trouve élégantes. Ceci par exemple. « Je la vois qui tourbillonne, légère sous le vent. » « L’en haut descend en chute lente. » « L’en haut descend en chute calme, impalpable et douce. »   

 

 

« Le monde a en lui-même son repos ; peut-être déjà son éternel repos. »

 

Oui en effet le monde affirme à chaque instant à la fois sa métamorphose et son repos, la métamorphose de son repos. Le monde affirme à chaque instant la métamorphose de son immobilité, la métamorphose de repos de son immobilité. 

 

 

« L’acte d’attention est tout autre : il met en présence, isolant un aspect ou un monde à l’exclusion du reste, il concentre sur un seul point ; ici la rose. Le reste a disparu. Le monde alentour s’est effacé. »

 

C’est pourquoi il est important de distinguer l’acte de l’attention et le geste de l’abstraction. L’attention isole un objet à travers l’acte d’effacer le reste du monde. L’abstraction parvient à extraire une chose du monde sans pourtant effacer le reste du monde. Le geste de l’abstraction parvient précisément à donner à sentir la présence d’une chose à l’intérieur de la présence du monde. L’attention doit anéantir le monde pour pouvoir révéler un objet. L’abstraction sait comment donner à sentir le surgissement d’une chose à l’intérieur du monde, le surgissement de la présence d’une chose à l’intérieur de la présence du monde, surgissement qui, pour reprendre une de tes intuitions de De l’Image, ressemblerait à celui d’une tête ou d’un visage. Le geste de l’abstraction donne ainsi à sentir la chose comme tête du monde, comme visage du monde. L’attention révèle l’objet en tant que tête sans corps. L’abstraction donne plutôt à sentir la chose comme visage avec un corps. L’abstraction donne à sentir la chose comme visage symbole du corps. 

 

 

 

« Et soudain l’expression me frappe. « Cela va de soi », en effet. C’est « de soi » que cela va. Que cela « va » comme le ciel de nues grises, en marche au-dessus de nous. »

 

Cela serait à rapprocher de la phrase de Jacqmin « Le jour n’est plus qu’un bouquet de flammes grises entremêlé de l’idée qu’on se fait des choses. » Cela va donc de soi comme le jour. Cela va de soi comme le bouquet de feu gris du jour. Cela va de soi comme l’efflorescence de flammes grises du jour. Cela va de soi comme le vase absent de tout bouquet du jour. Cela va de soi comme le vase de flammes grises absent de tout bouquet du jour. 

 

 

La tautologie serait à la fois un ça va de soi et un tout de même. La tautologie serait l’indice du ça va de soi tout de même. 

 

 

Pour toi l’être serait quand même le fin mot. Le fin mot à savoir le mot de la fin et le mot de la finesse. Pour toi l’être serait le mot par lequel la finitude de l’apparaitre s’affine, le mot par lequel la finitude de l’apparaitre s’affine infiniment ou s’affine afiniment je ne sais. Pour toi l’être ne serait pas le fin mot de l’histoire. Pour toi l’être serait plutôt le fin mot du mythe, le fin mot de la tautologie, le fin mot du mythe de la tautologie. 

 

 

(La tautologie comme forme mythologique c’était peut-être aussi une intuition de Chazal.)  

 

 

 

 

 

 

 

Notes à propos de Magritte.

 

 

 

 

 

Duchamp disait avoir inventé le ready-made pour mieux abolir ce qu’il  nommait la peinture rétinienne. Magritte de manière plus subtile encore essaie d’accomplir des sortes de ready-made rétiniens. Magritte peint chaque tableau comme un ready-made rétinien.

 

 

 

Magritte s’amuse donc à transformer la toile du tableau en ready-made de l’œil à moins que ce ne soit à l’inverse la rétine de l’œil en ready-made du tableau. Et en effet cela reste parfaitement indécidable. Devant un tableau de Magritte il apparait alors impossible de savoir si Magritte a décidé de transposer les images de la rétine à la surface de la toile du tableau ou s’il a plutôt à l’inverse décidé de transposer l’image du tableau à la surface de la rétine de l’œil. Ainsi devant une œuvre de Magritte il apparait désormais impossible de savoir si nous sommes devant un trompe l’œil ou un trompe-tableau, si nous sommes devant un tableau en trompe l’œil ou un œil en trompe-tableau, devant un tableau-ready-made en trompe l’œil ou devant un œil-ready-made en trompe-tableau. Et finalement pour Magritte le rêve (le rêve du cerveau) c’est justement cet aspect impossible de la pensée en tant que ready-made indécidable de la rétine et de la toile.

 

 

 

Magritte accomplit des ready-made rétiniens autrement dit il transpose l’usage de la rétine, il transpose l’espace d’utilisation de la rétine. Pour Magritte le tableau ressemble à une sorte de machine mentale, une sorte de machine mentale qui transpose à la fois l’espace d’utilisation de la rétine en dehors de l’œil et l’espace d’utilisation de la toile en dehors du visible. Très bizarrement alors la machine mentale du tableau selon Magritte est ce qui parvient à faire usage de la rétine comme paupière. Pour Magritte par l’intermédiaire du tableau la rétine devient la paupière du rêve. Pour Magritte par l’intermédiaire du tableau la rétine (le ready-made de la rétine) est ce qui ouvre et ferme la paupière du rêve selon les caprices de son désir. Magritte s’amuse ainsi à jouer aux échecs avec Duchamp à la surface même du tableau, à la surface même de la rétine-toile, à la surface même du ready-made de la rétine-toile. 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                          A Bientôt                  Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cher Boris,

 

(…)

 

Pour autant que je m'en souviens, j'avais beaucoup aimé lire La dimension d'inconnu de Munier. Déjà le titre est beau, et malgré tout il faut bien l'imaginer, cet inconnu, comme une dimension (du monde), le concevoir pas seulement intellectuellement mais par la sensibilité. Certes Munier est dans une lignée heideggerienne mais il a je crois un vrai regard de poète sur les choses, les feuilles des arbres, etc.

Oui je veux bien souscrire à ça : Pour toi l’être serait quand même le fin mot. Le fin mot à savoir le mot de la fin et le mot de la finesse. Pour toi l’être serait le mot par lequel la finitude de l’apparaitre s’affine, le mot par lequel la finitude de l’apparaitre s’affine infiniment" 

 

 

 

Mais au fond l'être, le réel, l'inconnu, ce sont des notions. L'important c'est les choses, et comment on les creuse, comment elles se dérobent, etc. J'ai hâte d'avoir Res rerum et de te l'envoyer. D'autant que la version imprimée est un peu différente du tapuscrit que tu avais lu. On n'a pas fini de parler des choses, et je suis curieux de savoir si ma petite doctrine "réisophique" va te plaire ou t'agacer...

 

Avec l'enfant c'est pour bientôt aussi, je crois ?

 

(Pas bien compris ton texte sur Magritte et le ready-made. Moi je dirais que Magritte c'est des natures mortes qui seraient vues par l’œil de Tex Avery. C'est des objets avec du langage dedans, si tu préfères.)

 

Bien amicalement à toi,

 

Laurent 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bonjour Laurent, 

 

 

 

Merci à toi pour l’envoi de Res Rerum. Je lirai ça à tête reposée à l’intérieur du feu. 

 

(…) 

 

 

 

 

                                                                                                        A Bientôt                    Boris