Phraser avec les Loups

 

 

 

Bonjour Laurent,

 

 

 

J’ai lu ton texte à propos des loups à l’intérieur de Catastrophes. C’est magnifique. J’aime surtout en particulier ces formules.

 

 

Que viennent les loups

en bancs de brume, en muettes meutes
qu’ils viennent comme le silence

que leurs cris boivent la lune

comme vêtus de leur disparition
que leurs pas nombreux soient le feutre

et qu’ils rôdent, les loups, comme rôdent les loups

qu’ils viennent encore avec la terreur qui les fait venir

tels des voleurs de nos vouloirs

que chaque loup soit
le pas de loup d’un plus grand loup

tels les fuseaux d’argent de l’indigence
qu’ils nous arrivent dans leur grand luxe de maigreur

qu’ils approchent les choses pour les frôler
d’un frisson venu des choses

qu’ils viennent à la tombée des arbres

dans les ciseaux de la grisaille

qu’ils se déplacent comme la plaie dans le couteau

que les loups viennent pour réveiller les loups

qu’ils soient comme une attente dans les choses
une attente qui attente aux choses

que les loups viennent
dans le regard des loups
dans le venir des loups

 

 

 

Ecrire c’est exister avec des phrases qui ressemblent à des animaux, des animaux parfois sauvages et des animaux parfois domestiques. Ecrire c’est parfois aussi paradoxalement exister avec des phrases qui ressemblent à des animaux sauvages à l’intérieur de sa maison et à l’inverse avec des phrases qui ressemblent à des animaux domestiques au dehors.  

 

 

Et je t’envoie aussi ci-joint un extrait des Conversations avec J.D Botta à propos du loup. Je ne sais si tu l’as déjà lu.

 

 

A propos du loup je me souviens aussi qu’à cette époque à l’âge de 10 ans, j’avais vécu un événement qui m’avait beaucoup impressionné. C’était pendant un voyage scolaire à la fin de l’année de cm2, lors d’une visite au zoo de Thoiry. Je contemplais les loups. Je restais là à contempler les loups. J’avais d’abord remarqué qu’à l’inverse de la plupart des autres animaux enfermés, les loups parvenaient à rester tranquilles. Ils étaient à l’évidence tristes, cependant ils apparaissaient tranquilles à l’intérieur de cette tristesse (à la différence par exemple des lions et des ours qui eux devenait fous de mélancolie). J’avais été surtout étonné par l’incroyable douceur de la démarche des loups. Je compris ce jour-là que l’expression « à pas de loup » était parfaitement exacte. Les loups se déplaçaient en effet sans le moindre bruit, leur démarche avait ainsi une allure presque féerique. J’étais ainsi resté là très longtemps devant la cage des loups. Puis un jeune crétin arrogant d’une vingtaine d’années s’était installé devant la cage. Au début, il invectivait les loups et se moquait d’eux en leur balançant des détritus. Et les loups regardaient alors cet homme aussi agressif que stupide de manière à la fois lucide et calme. Puis le jeune crétin arrogant se positionna la nuque en direction de la cage, et il mima des sortes d’attitudes de vainqueur comme s’il était celui-là même qui avait enfermé ces loups dans cette cage. Le jeune crétin était si indifférent à l’existence des loups qu’il n’avait plus la moindre intuition de la violence de cet animal. Pour lui le combat entre les hommes et les animaux était définitivement achevé, définitivement clos, et cette cage était la preuve de même de cette clôture. Pour lui ces loups n’existaient plus, ils n’étaient plus rien d’autre que des images de la victoire définitive de l’homme. Il ne faisait donc plus du tout attention aux loups, il pensait à tel point les dominer définitivement qu’il était désormais appuyé au grillage de la cage. Et c’est pourquoi un loup décida de lui donner une leçon, une leçon de sagesse, une leçon de sagesse animale. Je dis décida parce que j’ai vu à cet instant cette décision dans la posture et le regard du loup. Le loup se tenait depuis le début de l’intervention du jeune crétin environ à une dizaine de mètres du grillage. A cet instant de décision, il commença à s’approcher très tranquillement du grillage. Il n’y avait aucune agressivité dans son mouvement, simplement une forme de détermination extrême. Pendant que le jeune crétin continuait ses rodomontades stupides, le loup approcha sa gueule entre les trous du grillage il ouvra posément les mâchoires (si j’ose dire et pourtant c’était bien cela) et les referma ensuite sur une manche du manteau du jeune crétin. Evidemment j’avais vu le loup approcher du grillage et j’avais vu aussi que le jeune crétin ne le voyait pas. Et de manière extrêmement spontanée, extrêmement intuitive je n’avais alors rien dit. A cet instant il était en effet flagrant que j’étais avec le loup, avec le loup et contre l’homme. J’ai ainsi eu pour la première fois le sentiment extrêmement précis que je préférerais parfois des postures animales à des comportements humains et qu’il y aurait ainsi des situations où je pourrais à l’évidence devenir un traitre à l’espèce humaine. Lorsque le jeune crétin sentit la mâchoire du loup se refermer sur son bras, il fut doublement stupéfait, à la fois stupéfait de ne pas avoir entendu s’approcher le loup et aussi stupéfait que je ne l’ai pas prévenu que le loup s’approchait. Et là instantanément il apprit ce qu’était la terreur de l’homme face à l’animal. Dans ses yeux il y avait de l’horreur, une horreur ancestrale, l’horreur ancestrale d’être dévoré. Pendant ce temps le loup restait immobile et regardait fixement le jeune crétin les mâchoires intensément fermées. Le loup tenait ainsi cet homme à sa merci et il le savait, c’était intégralement visible à l’intérieur de son regard. Le jeune crétin pour échapper à l’emprise des mâchoires du loup choisit d’enlever très douloureusement son manteau puis il s’enfuit dans les allées du zoo en pleurant. Le loup garda ensuite quelques instants le manteau du jeune crétin entre les mâchoires de sa gueule puis il laissa ensuite le manteau s’effondrer sur le sol d’un geste de dédain des mâchoires inoubliable. 

 

 

 

 

                                                                                                              A Bientôt               Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Merci Boris, je suis touché par tes compliments.

Et frappé par l'anecdote que tu racontes. Prendre parti pour l'animal contre l'homme, c'est un geste wolowieckien... Dans Wolowiec j'aurais tendance à entendre d'ailleurs un redoublement du loup : Wol[f]ow soit Wo-loup.

Bien à toi,

 

Laurent