Espérance de Charles Péguy

 

 

 

Bonjour Laurent,

 

 

Merci pour tes remarques à propos de mes citations. L’oscillation entre l’application et la désinvolture de tes réponses c’est à chaque fois amusant.

 

Une indication. Les deux phrases que tu as attribuées à Munier sont des phrases que tu avais écrites à l’intérieur d’une lettre précédente. Tu as oublié ces phrases. C’est surprenant. Il serait à ce propos intéressant de savoir exactement parmi les phrases que nous écrivons quelles sont celles que nous mémorisons, celles que nous ne mémorisons pas et que cependant nous reconnaissons comme nôtres quand elles sont citées et enfin celles que nous oublions intégralement et que par conséquent nous attribuons à d’autres quand nous les lisons.

 

Benjamin est un auteur extrêmement subtil. Et Péguy apparait en effet génialement dingue. Ainsi encore pour le plaisir quelques phrases de ce grand travailleur exalté, extraites du Porche du Mystère de la Deuxième Vertu.

 

« La foi, ça ne m’étonne pas.

Ça n’est pas étonnant.

(…)

La charité, dit Dieu, ça ne m’étonne pas.

Ça n’est pas étonnant.

(…)

Mais l’espérance, dit Dieu, voilà ce qui m’étonne.

Moi-même.

Ça c’est étonnant.

 

Que ces pauvres enfants voient comme tout ça se passe et qu’ils croient que demain ça ira mieux, qu’ils voient comme ça se passe aujourd’hui et qu’ils croient que ça ira mieux demain matin.

Ça c’est étonnant et c’est bien la plus grande merveille de notre grâce.

Et j’en suis étonné moi-même.

 

(…)

 

Ce qui m’étonne dit Dieu, c’est l’espérance.

Et je n’en reviens pas.

Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout. Cette petite fille espérance.

Immortelle.

 

(…)

 

Singulier renversement, singulier retournement, c’est le monde à l’envers.

Vertu de l’espérance.

(…)

Singulière vertu de l’espérance, singulier mystère, elle n’est pas une vertu comme les autres, elle est une vertu contre les autres.

Elle prend le contre-pied de toutes les autres. Elle s’adosse pour ainsi dire aux autres, à toutes les autres.

Et elle leur tient tête. A toutes les vertus. A tous les mystères.

Elle les remonte pour ainsi dire, elle va à contre-courant.

Elle remonte le courant des autres.

Elle n’est point une esclave, cette enfant est une forte tête.

Elle réplique pour ainsi dire à ses sœurs ; à toutes les vertus, à tous les mystères.

Quand ils descendent elle remonte, (c’est très bien fait),

Quand tout descend seule elle remonte et ainsi elle les double, elle les décuple, elle les agrandit à l’infini.

 

(…)

 

C’est elle qui a fait ce renversement, ce retournement le plus fort de tout,

(C’est peut-être ce qu’elle a fait de plus fort),

(Qui eut cru que tant de pouvoir, qu’un pouvoir suprême était donné à cette petite

Espérance). »  

 

 

 

 

                                                                                                              A Bientôt               Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ah ça alors oui c'est troublant. je me disais bien que je connaissais ces phrases, mais je pensais que c'était de les avoir lues (chez Roger Munier). Du coup je me dis qu'elles mériteraient d'être dans mon carnet d'aphorismes (la suite de Résolutions) qui d'ailleurs est un peu en plan depuis longtemps.

J'avais noté dans Résolutions : "L'espérance est nécessairement une chose floue." (Je cite de mémoire.) Sous-entendu : dès que ses vues se précisent, l'espérance disparaît, confrontée qu'elle est au réalisme du réel.

J'achèterai peut-être le choix de pensées de Péguy que vient de publier Arfuyen.

A bientôt Boris,

 

Laurent