Boris, tu as vu la magnifique note de Matthieu Jung sur Poezibao ?

Je la trouve très forte, et très émouvante.

Bien à toi,

 

Laurent

 

 

 

 

Bonjour Laurent,

 

 

Oui, en effet, c’est un hommage intense. La pulsation émotive du texte surtout me plait. 

 

 

 

                                                                                                             A Bientôt                Boris

 

 

 

 

 

 

Bonjour Laurent,

 

 

Tiens, il semblerait que la critique à mon propos se réveille. J’ai l’impression que ce qui la réveille c’est la présence du je. En effet pour la première fois le lecteur de mon texte a une vision plus humaine de celui qui écrit. Il n’a pas à affronter l’abstraction de l’écriture de face, et je pense que c’est pour cela qu’il a une attitude moins inquiète. 

 

Ce dont je suis heureux surtout c’est que les citations du livre dans les articles ne sont quasiment jamais les mêmes. Chaque critique du livre cite des extraits différents. Cela indique qu’il y a une profusion plutôt généreuse de ce texte. Chacun a le loisir d’y trouver ce qui lui plait. Tourner cela devient alors qui sait une manière de s’épancher avec distinction.

 

J’ai bien aimé le timbre entre Beckett et Perros de l’article de Mathieu Jung. Et l’allusion à Roubaud, quand bien même elle est plutôt surprenante, est intéressante. Son idée de chose noir, de chose noir au masculin m’a plu.

 

L’article de Claro a un aspect plus désinvolte. C’est parfois un peu rapide et flou. Ce qui apparait malgré tout superbe c’est la dernière phrase à propos du Petit Bal Perdu de Bourvil. C’est une intuition de lecture prodigieuse et presque médiumnique. Ce qu’écrit ainsi Claro est intégralement exact. Cette chanson de Bourvil apparait en effet parfois comme une berceuse burlesque de mon âme. Pour accompagner cette intuition, je t’envoie un texte à propos de Bourvil, manière d’ajouter un autre fragment à mon approche des formes burlesques.  

 

 

                                                                                                         A Bientôt                    Boris

 

 

 

 

 

 

 

Bourvil

 

 

 

C’est le plus émouvant des hommes. « Non je ne me souviens plus du nom du bal perdu. Ce dont je me souviens, c’est de ces amoureux qui ne regardaient rien autour d’eux. Y’avait tant d’insouciance dans leurs gestes émus. Alors quelle importance le nom du bal perdu. » La voix de Bourvil dit ainsi l’inoubliable, l’inoubliable de ce qui reste malgré tout sans nom. Il y a une mélancolie et une tendresse, une mélancolie tendre à l’intérieur de la voix de Bourvil. La voix de Bourvil donne alors à sentir la simplicité même de la mémoire, la simplicité de la mémoire comme de l’oubli. La voix de Bourvil donne à sentir la simplicité même d’avoir été là, la simplicité d’avoir été là et de s’en souvenir à la fois en dehors du langage et en dehors des noms.

 

Il y a une naïveté indécente de Bourvil, une naïveté presque obscène de Bourvil. La naïveté de Bourvil c’est la naïveté de celui qui parvient à retrouver chaque âge de son cœur et qui parvient aussi à en dire l’inexpérience profonde. La naïveté de Bourvil n’est pas celle d’un homme apte à retrouver l’âge de l’enfance. La naïveté de Bourvil apparait surtout comme celle d’un homme qui évoque l’enfance de chaque âge, la bonhommie éberluée de chaque âge, la tendresse éberluée de chaque âge, l’étonnement éberlué de chaque âge. La voix de Bourvil évoque ainsi à la fois la tendresse éberluée de l’enfant, la tendresse éberluée de l’adolescent, la tendresse éberluée de l’adulte, la tendresse éberluée du vieillard et même la tendresse éberluée du mourant.

 

 

Il y a comme une peine penaude qui accompagne chaque geste de Bourvil. Jamais Bourvil ne cherche à cacher cette peine. Jamais Bourvil ne tient cette peine à distance. Cette peine penaude c’est à l’inverse ce que son bonheur propose paradoxalement à la fois comme un poids, une mise, un gage, et un enjeu.

 

Bourvil a de la peine - ce mot presque oublié selon J.B Pontalis. Bourvil a de la peine et il porte le poids de cette peine sur ses épaules. Poids de la peine qui est à la fois celui physique du paysan et celui sentimental du poète. Bourvil porte un poids de terre et de larmes sur ses épaules. Bourvil porte un poids de terre et de larmes sur ses épaules et il parvient malgré tout à s’en amuser et à en rire. Et c’est précisément aussi parce qu’il porte ce poids invisible de sa peine à chaque instant sur ses épaules que le gag de La Grande Vadrouille où Bourvil doit aussi y porter en plus Louis de Funès est si drôle.

 

 

La bizarre démarche de Bourvil, les pieds tournés vers l’intérieur comme s’il devait s’extraire à chaque instant avec difficulté du sol, de la tourbe du sol, de la tourbe de tourments du sol.   Bourvil c’est la figure inverse de Rimbaud. Bourvil c’est l’homme aux semelles de tourbe, l‘homme aux semelles de boue.

 

Bourvil ne marche pas à la surface de la terre. Bourvil marche plutôt sur les mutations de la terre, sur les métamorphoses de la terre. Bourvil marche à la surface d’un torrent de boue, à la surface d’un volcan de boue. Il y a un aspect Empédocle de Bourvil. Bourvil marche comme un Empédocle burlesque.

 

Il y a une titubation infaillible de Bourvil. Bourvil titube à la fois musculairement et verbalement. Bourvil titube musculairement et verbalement à l’intérieur de l’infaillibilité de son émotion, à l’intérieur de l’infaillibilité de son feeling.

 

Bourvil joue comme un jazzman paysan. Bourvil joue comme un jazzman gardien de vache, comme un jazzman qui garde les vaches de ses rêves.

 

Bourvil joue comme un accordéoniste de la voix, comme un accordéoniste éberlué de la voix. Il y a une bravoure de Bourvil, une bravoure éberluée de Bourvil et une lubricité bonhomme aussi.

 

Il y a une bonhommie bredouillée de Bourvil. Bourvil improvise le bredouillage. Bourvil improvise le bredouillage comme vertu stoïque, comme honnêteté stoïque.

 

Bourvil brouille son élocution avec le mouvement aberrant de ses jambes. C’est une technique semblable à celle de Groucho Marx, à cette différence près qu’alors que cette technique produit un bourdonnement d’arrogance chez Groucho, elle provoque plutôt une brume d’humilité chez Bourvil.

 

Bourvil parle comme s’il mâchait à chaque instant du papier-buvard. Les voyelles et les consonnes de sa prononciation débordent sans cesse les unes sur les autres. L’ébullition de son élocution déguingande alors sa bouche. L’ébullition de son élocution déguingande sa bouche au petit bonheur le chemin.

 

 

 

 

 

 

 

 

En effet je pense que la dimension plus personnelle de ton livre plait.

Très bien ton texte sur Bourvil. Je me souviens qu'enfant je n'aimais pas beaucoup Bourvil dont l'idiotie (la niaiserie qui est une variante de la naïveté dont tu parles) me perturbait, alors qu'une fois adulte je me suis mis au contraire à l'apprécier beaucoup plus.