Cher Boris,

 

j'espère que tu es bien rentré chez toi. J'ai été heureux de ta visite. Tiens, ma dernière note de lecture est consacrée à un précurseur de Malcolm de Chazal : 

(…) Elle n'a rien de grandiose, cette note, mais j'y énonce l'idée d'une "subliminalité" de la langue dans le monde. Ce que je veux dire par là, c'est ce dont tu m'as donné un exemple lors de notre promenade quand tu as parlé de la morbidité du noyer. Certes tu n'as pas voulu en convenir ! mais c'était une belle illustration de la subliminalité de la langue dans les choses...

 

 

(…)

 

 

Amitiés,

 

Laurent

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Méditation simpliste à propos de la Nature.

 

 

 

Il me semble que c’est un préjugé assez ridicule de penser que l’homme est désormais le maitre et possesseur de la nature. L’homme n’a jamais dominé la nature et il ne la dominera jamais. L’homme exploite la nature, il l’emploie, il en profite, il l’emploie à son profit cependant il ne la domine pas. L’homme sait de quelles façons détourner la puissance de la nature afin de l’employer cependant il ne la domine pas. C‘est pourquoi l’idée d’une protection de la nature a un aspect tout aussi ridicule. Croire que nous devons protéger la nature c’est déjà présupposer que nous la maitrisons. Il s’avère cependant dérisoire de désirer protéger la nature et cela simplement parce que l’homme n’a pas le pouvoir de la protéger. L’homme qui désire protéger la nature est aussi ridicule qu’un grain de sel qui désirerait protéger un raz de marée ou qu’un grain de poussière qui désirerait protéger un cyclone. Ce que l’homme à notre époque anéantit sans cesse de façon aussi idiote qu’ignominieuse ce n’est pas la nature, c’est son propre environnement autrement dit sa situation viable à l’intérieur de cette nature. L’homme ne détruit pas la nature, il se suicide de façon stupide.

 

 

Il est risible de désirer protéger la nature et cela simplement parce que la nature n’est pas faible. La nature apparait en effet d’une puissance et d’une générosité aussi extravagante qu’indifférente. Paradoxalement ce que la nature donne à l’homme, elle le donne avec une indifférence formidable et sa puissance est beaucoup plus grande que ce que l’homme peut recevoir. C’est pourquoi d’ailleurs si l’espèce humaine meurt, la nature elle existera toujours même si ce sera alors par des formes invivables pour l’homme, sous des formes simplement minérales par exemple. C’est sans doute de façon abusive que nous assimilons la nature à la vie humaine. C‘est peut-être en effet uniquement par hasard que la vie humaine a l’aptitude de se développer à l’intérieur de la nature c’est à dire à la surface de la planète. C’est pourquoi que les ours blancs disparaissent ou non est sans importance. L’apitoiement envers la disparition des espèces animales a un aspect un peu niais. Les écologistes bien-pensants se lamentent à propos de telles extinctions animales. S’ils se lamentent ainsi c’est parce qu’ils n’ont jamais l’intuition des puissances de mutation de la nature. Ainsi qui sait si après cette disparition des ours blancs n’apparaitront pas ensuite par mutation prodigieuse des ours bleus ou même des ours rouges qui viendront ainsi venger la disparition des ours blancs, ou bien des ours étoilés, ou encore des ours arc-en-ciel. (De même qu’après l’explosion de la centrale atomique de Tchernobyl sont apparus dans ses parages des cerfs dotés de ramures faramineuses, des souris à deux têtes, des sangliers à roue de secours et des limaces à moteur d’avions.) 

 

 

Ce que les écologistes conventionnels semblent ignorer, c’est l’extraordinaire puissance matérielle de la nature. Les écologistes bien-pensants ont une conception réduite voire mesquine de la nature. Ils conçoivent la nature soit en tant que réservoir d’énergie (réservoir d’énergie pour la production humaine) soit en tant que vague décor d’osmose fusionnelle, et parfois même d’ailleurs les deux à la fois, en tant que décor-réservoir d’osmose fusionnelle productive. Les écologistes n’ont jamais un sentiment sublime de la nature, ils n’ont jamais un sentiment de terreur immédiate face aux forces de la nature. (Les écologistes assimilent systématiquement les événements de la nature à des instruments. Les volcans ne sont pour eux que de gros radiateurs.)

 

 

Ce qui a désormais disparu en l’homme c’est le sentiment de terreur face à la présence même du monde. Ce qui a désormais disparu en l’homme c’est le sentiment précis de la violence même de la matière du monde. Avant le dernier tsunami par exemple les animaux avaient l’intuition confuse de l’imminence d’une catastrophe, c’est pourquoi les poissons s’enfuirent en masse au large et de même les éléphants essayèrent de s’enfuir à l’intérieur des terres. Les hommes à l’inverse quelques secondes avant de rencontrer la vague immense qui allait les détruire à jamais continuaient à prendre distraitement des photos et à siroter sournoisement des cocktails. C’est comme si désormais le corps même de chaque homme était devenu indifférent à sa propre présence sur terre, comme si pour l’homme il n’y avait plus aucune différence entre exister et ne pas exister, comme si l’homme était donc déjà mort, comme si il ne survivait à la surface de la terre qu’en tant que spectre, en tant que mort-vivant. Ce que le tsunami a tué c’étaient des morts-vivants en maillots de bain, des spectres en paréos et des zombis en bikinis. Il y a dans cette absence de terreur, dans cette absence d’intuition épouvantée de se trouver simplement là entre terre et ciel, un aspect qui me semble plus inquiétant encore que la catastrophe même. Désormais les hommes peuvent mourir sans craindre de mourir. Désormais l’angoisse de survivre s’est définitivement substituée à la terreur d’exister, l’angoisse distraite de survivre pour rien s’est définitivement substituée à la terreur incroyable d’exister. A notre époque de prudence prophylactique ridicule, les hommes se soucient à chaque seconde de se protéger des petites brûlures du soleil et des piqures de moustiques et le corps donc oint de crème à bronzer ou de lotion anti-moustiques, ils meurent ainsi instantanément noyés à l’intérieur d’un océan dont ils n’ont jamais senti ou imaginé la puissance prodigieuse. 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                    A Bientôt        Boris