Bonjour Laurent, 

 

 

 

 

 

Extraits d’Hier en Chemin de Peter Handke. 

 

 

 

 

Quel trésor malgré tout désormais, après coup que le vide, l’absence d’événements de l’enfance- ou était-ce déjà le cas à l’époque ?

 

 

 

Comme enfant : Je ne savais pas ce que je savais ; et il me faut désormais encore, sans cesse, l’éprouver à neuf

 

 

 

Dans le bleu du ciel les lourds bouquets bleus des fleurs de glycine, matérialisation du bleu de l’Ether (…) et le verbe pour le mouvement de ces grappes de fleurs : elle « titubent »

 

 

 

(Les beaux mouvements de gymnastique du linge vide au loin sur les fils, sans corps de gymnastes)

 

 

 

Comme cette jeune femme à l’instant dans le train (de Vigo à Saint-Jacques-de-Compostelle via Pontevedra) est devenue belle, noble, sitôt qu’elle a cessé de lire son magazine pour ne plus contempler que le crépuscule du dimanche au dehors 

 

 

 

Les cils dans le livre vieux de plusieurs siècles

 

 

 

Nom d’un nouveau-né la nuit dernière en rêve : « Triangle »

 

 

 

L’illumination par un conseil enthousiaste- aussi bien seuls ces conseils-là sont utiles 

 

 

 

Bel et bien créateur (aussi), de laisser en paix ce qui fut vécu et de le déployer ainsi

 

 

 

Je me sens toujours aussi beau et aussi laid que celui ou celle qui vient justement à ma rencontre

 

 

 

« Adossement », beauté de ce mot ; le souvenir comme adossement

 

 

 

Raffinement de l’Espagne : la discrétion (je le remarque après coup dans cette France affectée ; seule la France des villes toutefois)

 

 

 

« C’est joli quand même ? » paroles françaises fréquentes et fugitives en passant devant les (grandes) œuvres

 

 

 

Pourquoi dit-on « une question me brûle les lèvres » ? Une question t’a-t-elle jamais vraiment brûlé les lèvres ?

 

 

 

Il existe un rapport entre la curiosité et l’insensibilité ?

 

 

 

Et au-dessus les hirondelles qui passent stridentes par intervalles, tels les pelotons d’une course cycliste

 

 

 

Au point de fuite du souffle : l’image

 

 

 

Face à face, c’est ainsi qu’il te faut regarder, même la pierre la plus dépourvue de visage

 

 

 

Hier, sur la tombe de René Char, à l’Isle-sur-la Sorgue : Comme si la tombe du (de ce) poète était l’air, le vent, les herbes qui frémissent (…) Puis je baigne mes pieds dans la Sorgue, près des vieilles roues de bois, immenses, qui tournent pesamment dans la rivière, et où claquaient  les lambeaux de mousse - les roues sans cesse s’immobilisaient pour un instant, jusqu’à ce que toute l’eau qui les ralentissait peut-être se fut écoulée, puis, très lentes, elles se remettaient alors en mouvement et ce sont des centaines de petites chutes d’eaux qui glissaient des roues, avec des accents si mélodieux ; et enfin dans le silence de la nuit près de la gare les coassements des grenouilles - l’humanité est encore là, remplie d’adieux , l’humanité qui se montre dans les adieux -

 

 

 

Œuvrer en faisant silence ; artiste du silence ; comment réussir cela ? Comment les créer, les tonalités, les gammes-échelles vers la terre comme le ciel - du silence ?

 

 

 

« Passez inaperçu ! » pensa-t-il, sur quoi aux yeux de tous il tomba dans le fossé

 

 

 

A beaucoup savoir on court le risque de se laisser aller, surtout en paroles ?

 

 

 

La formule : « cela remonte à si longtemps que ce n’est plus vrai désormais » - de certaines choses je peux dire au contraire qu’elles remontent à si longtemps qu’elles sont devenues vraies désormais

 

 

 

La belle indistinction de l’enfance, où les silhouettes des choses et des gens, isolément, apparaissaient d’autant plus nettes

 

 

 

« Je vois toujours des cimetières. » (un enfant dans le train qui traverse les Cévennes)

 

 

 

Et je me suis figuré un cimetière où l’on pourrait lire sur les pierres tombales comment tel ou telle est mort(e)

 

 

 

Ce « je me suis gardé léger » chez Ph. Jaccottet : ne tire-t-il pas tout son tranchant de la phrase qui secrètement le précède « Je me suis fait lourd » ?

 

 

 

Les quelques regards réussis vers le ciel, quand avec le regard c’est l’homme tout entier qui part vers le ciel, ou simplement (simplement ?) vers la cime des arbres, par exemple celle du marronnier du village

 

 

 

« Le jour pour moi s’éclaire sitôt que j’aperçois un idiot ou un gaucher. – Oui, mais qu’en retirent-ils, l’idiot ou le gaucher ? »  

 

 

 

Et le tilleul est soulevé par son propre parfum, ce bourdonnement dans son feuillage

 

 

 

La source de joie secrète dans la poitrine, à laquelle aucun système ne donne accès, lorsqu’elle s’ouvre, enfin, est dans les premiers moments quelque chose de merveilleusement froid

 

 

 

Ah, ces instants où la matière se résout (s’articule, s’aère) en forme : qu’apprends-tu de ton travail ? Que chaque jour est un travail, qu’aucune forme n’est là par avance, que chaque jour exige une nouvelle mise en forme

 

 

 

Singulier encore : que tous les plaisirs de l’enfance - manger des glaces, jouer …- se soient envolés hormis celui de rester là, à regarder, tendre l’oreille

 

 

 

Ce qui dans le travail, aide parfois : l’humour noir. Mais comment l’apprendre ?

 

 

 

Curieux, encore : que pour moi l’élan lyrique naisse d’abord face à l’espace de la chose, à son environnement, et que ce ne soit qu’alors, ou seulement lors de mon deuxième passage dans cet espace, que je perçoive la chose, l’objet qui s’y trouve

 

 

 

Je suis toujours assez naïf  pour croire que je vais lever les yeux et le voir soudain, pour toujours. – Quoi ? – Cela.

 

 

 

Le plus touchant de tous les signes de vie : la faroucherie

 

 

 

Quelque chose montre sa forme, c’est-à-dire : se ralentit, avec majesté (oui)

 

 

 

Un enfant à un autre : « Et qu’est-ce que tu sais faire, toi ? «  L’autre enfant : « Je ne sais rien faire du tout. » (Enthousiaste) : « Je ne sais absolument rien faire. »

 

 

 

En rêve je voyais une date d’autrefois et j’éprouvais une reconnaissance douce. Pour quoi ? Pour le temps lui-même, le temps « en tant que tel » ; reconnaissance d’avoir été là alors, d’avoir fait telle chose, et d’être encore là maintenant – reconnaissance comme plénitude du sentiment

 

 

 

« Y’a-t-il de belles blessures ? – Non, il n’y a pas de belles blessures. Mais il y a la beauté des blessés

 

 

 

Ce que l’on croyait perdu et que nous retrouvons : fonde une confiance toute particulière

 

 

 

(la tache de soleil sur la table tel un morceau de pain)

 

 

 

Plutôt se perdre que de se figer dans la désorientation

 

 

 

Ne crains pas tant de t’égarer ; l‘égarement fait partie de toi 

 

 

 

« Marche vers la plus haute des destinations ! Quiconque a atteint cette destination de la marche, il ne sait plus où elle mène. » (Lao-Tseu)

 

 

 

Une sorte de déclaration d’indépendance, toute personnelle : Je ne demande plus mon chemin 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                    A Bientôt        Boris