Bonjour Laurent, 

 

 

 

Je t’envoie une esquisse d’étude à propos de G. Bachelard. 

 

 

 

 

 

                                                                                                           A Bientôt                 Boris

 

 

 

 

 

 

Remarques à propos de Bachelard. 

 

 

 

Il y a un baume de sagesse à l’intérieur de l’œuvre de Bachelard.  La sagesse de Bachelard c’est simplement celle d’affirmer la tranquillité de l’imagination, c’est simplement celle d’affirmer une manière tranquille d’imaginer le monde.

 

« Quand un rêveur de rêveries a écarté toutes les préoccupations qui encombraient la vie quotidienne, quand il s’est détaché du souci qui lui vient du souci des autres, quand il est vraiment ainsi l’auteur de sa solitude, quand enfin il peut contempler, sans compter les heures, un bel aspect de l’univers, il sent, ce rêveur, un être qui s’ouvre en lui. Soudain un tel rêveur, est rêveur de monde. (…) Le monde est si majestueux qu’il ne s’y passe plus rien : le monde repose en sa tranquillité. Le rêveur est tranquille devant une Eau tranquille. La rêverie ne peut s’approfondir qu’en rêvant devant un monde tranquille. La Tranquillité est l’être même et du Monde et de son Rêveur. Le philosophe en sa rêverie de rêveries connait une ontologie de la tranquillité. La Tranquillité est le lien qui unit le Rêveur et son Monde. »

 

Bachelard écrit ainsi à la recherche d’une forme d’inconscient tranquille. Cette forme de l’inconscient tranquille c’est la forme de l’inconscient qui trouve sa demeure. « L’inconscient est logé. Il faut ajouter que l’inconscient est bien logé. Il est logé dans l’espace de son bonheur. » « La maison est une de plus grande puissance d’intégration pour les pensées, les souvenirs et les rêves de l’homme. » « La maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix. » « Notre inconscient est « logé ». Notre âme est une demeure. » Bachelard écrit ainsi à la recherche d’une forme d’imagination paisible, d’une forme d’imagination tranquille, d’une forme d’imagination calme. « Pour bénéficier de l’onirisme d’une telle image, il faut se mettre d’abord « dans la paume du repos » » 

 

 

Pour Bachelard, la tranquillité de l’imagination  c’est d’abord la tranquillité de l’enfance. Pour Bachelard, la tranquillité de l’imagination c’est d’abord ce qui émane simplement du bonheur de l’enfance, du bonheur tranquille de l’enfance. « Dans une rêverie tranquille, nous suivons souvent la pente qui nous rend nos solitudes d’enfance. » « Voilà l’être de l’enfance cosmique. Les hommes passent, le cosmos reste, un cosmos toujours premier, un cosmos que les plus grands spectacles du monde n’effaceront pas dans tout le cours de la vie. La cosmicité de notre enfance demeure en nous. Elle réapparait en nos rêveries dans la solitude. » 

 

« L’enfance est certainement plus grande que la réalité »

 

L’enfance apparait toujours plus grande que la réalité parce qu’elle inachève le monde. L’enfance apparait plus grande que la réalité parce qu’elle inachève à chaque instant la démesure du monde. 

 

 

« Dès que nous sommes immobiles, (…) nous rêvons dans un monde immense. L’immensité est le mouvement de l’homme immobile. L’immensité est un des caractères dynamiques de la rêverie tranquille. » « Nous découvrons ici que l’immensité du côté de l’intime est une intensité. » 

 

La contemplation de l’immense apparait comme une contemplation immobile. La contemplation de l’immense intensifie l’immobilité. La contemplation de l’immense intensifie la pulsion de l’immobilité. La contemplation de l’immense intensifie la pulsion de repos de l’immobilité. La contemplation de l’immense intensifie la pulsion de l’ascèse. La contemplation de l’immense intensifie la pulsion d’ascèse de l’immobilité. La contemplation de l’immense intensifie l’aisance de l’immobilité. La contemplation de l’immense intensifie la pulsion d’aisance de l’immobilité, la pulsion d’ascèse aisée de l’immobilité. 

 

 

« Avez-vous jamais vu le matin, un lièvre sortir des sillons fraichement ouverts par la charrue, courir quelque instants sur le givre argenté, puis s’arrêter dans le silence, s’asseoir sur ses pattes de derrière, redresser les oreilles, regarder l’horizon, il semble que son regard pacifie l’univers. Le lièvre immobile qui, dans une trêve de sa perpétuelle inquiétude, contemple la campagne fumante, on ne saurait imaginer un plus sûr indice de paix profonde aux alentours. » D’Annunzio

 

La contemplation affirme ainsi la paix à l’intérieur de la terreur. La contemplation affirme le calme à l’intérieur de la terreur. La contemplation affirme le repos à l’intérieur de la terreur, le repos de l’extase à l’intérieur de la terreur. La contemplation affirme la paix de l’extase à l’intérieur de la terreur, le calme de l’extase à l’intérieur de la terreur. 

 

 

 

« Il faut (…) désocialiser nos grands souvenirs et atteindre au plan de rêveries que nous menions dans les espaces de nos solitudes. »

 

L’imagination n’est jamais sociale. L’imagination apparait toujours solitaire. L’imagination apparait toujours comme un geste de la solitude. 

 

 

« La rêverie ne se raconte pas. (…) Il est des rêveries si profondes, des rêveries qui nous aident à descendre si profondément en nous qu’elles nous débarrassent de notre histoire. Elles nous libèrent de notre nom. Elles nous rendent ces solitudes d’aujourd’hui aux solitudes premières. »

 

L’imagination donne à sentir la solitude. L’imagination donne à sentir la solitude d’exister. L’imagination donne à sentir la solitude d’exister à la fois en dehors de l’histoire et du nom. L’imagination donne à sentir la solitude immense d’exister. L’imagination donne à sentir la solitude immense d’exister en dehors de l’histoire et du nom. 

 

 

« La solitude n’a pas d’histoire. Toute ma solitude est contenue dans une image première. »

 

Il n’y a pas d’histoire de la solitude. Malgré tout la solitude a à la fois une géographie et une météorologie. La solitude donne à sentir à la fois la géographie du destin et la météorologie du destin. La solitude donne à sentir la géographie de météores du destin. La solitude donne à sentir la géographie d’insouciance du destin. La solitude donne à sentir la météorologie d’insouciance du destin. La solitude donne à sentir la géographie de météores insouciants du destin. 

 

 

« Plus simple est leur objet, plus grandes sont les rêveries. »

 

 L’imagination donne à sentir la chose de la démesure. L’imagination donne à sentir la simplicité de la démesure, la chose de simplicité de la démesure. 

 

 

« L’enfant se sent fils du cosmos quand le monde humain lui laisse la paix. »

 

Ou plutôt à l’intérieur de la solitude, la chair devient la sœur du cosmos. A l’intérieur de la solitude l’existence apparait comme la sœur siamoise du cosmos. A l’intérieur de l’extase de la contemplation, la solitude d’exister apparait comme la sœur siamoise de la solitude du monde. A l’intérieur de l’extase de la contemplation, la solitude immense d’exister apparait comme la sœur siamoise de la solitude immense du monde. 

 

 

 

« Nous pouvons dégager à propos des images poétiques, une sphère de sublimation pure, d’une sublimation qui ne sublime rien, qui est délestée de la charge des passions, libéré de la poussée des désirs. En donnant ainsi à l’image poétique de pointe un absolu de sublimation, nous jouons gros sur une simple nuance. Mais il nous semble que la poésie donne des preuves abondantes de cette sublimation absolue. »

 

L’écriture apparait comme une forme de sublimation absolue. L’écriture apparait comme une forme de sublimation à la fois impure et absolue. L’écriture apparait comme une forme de sublimation impure et absolue parce que c’est une forme de sublimation non-psychique. En effet l’écriture n’est pas la sublimation de la matière par la pensée. L’écriture affirme précisément à l’inverse le geste de sublimer la pensée par la matière. L’écriture affirme le geste de sublimer la transcendance par l’immanence, le geste de sublimer la transcendance de la pensée par l’immanence de la matière. L’écriture affirme le geste de sublimer le désir de transcendance de la pensée par le besoin comme la volonté d’immanence de la matière. 

 

 

(Pour Bachelard la pensée n’est pas une puissance de sublimation, la pensée est à l’inverse une puissance qui interdit la sublimation. « Dans la vie intellectuelle, loin de vivre l’être imaginant, ne refoule-t-on pas ses sublimations ? On se moque des images naïvement brillantes. ») 

 

 

« Le plus insidieux des automatismes, l’automatisme du langage ne fonctionne plus quand on est entré dans le domaine de la sublimation pure. »

 

La sublimation à la fois impure et absolue de l’écriture détruit les automatismes du langage, les automatismes stéréotypés du langage. La sublimation à la fois impure et absolue de l’écriture affirme la joie d’improviser à chaque instant les formes du langage, d’improviser à chaque instant les formes de nécessité du langage, les formes de nécessité de la parole. 

 

 

« L’imaginaire seul apprend au langage à se dépasser. »

 

L’imagination affirme ainsi le geste de sublimer le langage. Ecrire ce n’est pas désirer sublimer le monde par le langage, écrire c’est plutôt le geste de sublimer le langage même. Ecrire c’est le geste de sublimer le langage par l’imagination, c’est le geste de sublimer le langage par l’imagination du monde. 

 

 

Ecrire ce n’est pas sublimer avec le langage. Ecrire ce n’est pas le geste de sublimer par le langage. Ecrire c’est le geste de sublimer le langage par la sensation, c’est le geste de sublimer le langage par le silence de la sensation. Le geste de l’imagination apparait ainsi comme le geste de sublimer le langage. Le geste d’imagination de l’écriture apparait comme le geste de sublimer le langage par le silence de la sensation. Le geste d’imagination de l’écriture apparait comme le geste paradoxal de sublimer la pureté du langage par l’impureté de la sensation, comme le geste de sublimer la pureté du langage par le silence de la sensation, comme le geste paradoxal de sublimer le sens pur du langage par le silence impur de la sensation.

 

 

 

« En suivant le poète, il semble que si nous approfondissons notre rêverie vers l’enfance, nous enracinons plus profondément l’arbre de notre destin. »

 

Celui qui imagine par gestes d’enfance essaie ainsi d’enraciner l’arbre de son destin. Imaginer c’est enraciner l’arbre du destin à l’intérieur du feu. Imaginer par gestes d’aphorismes, par gestes d’aphorismes d’enfance c’est jouer à enraciner paradoxalement l’arbre du destin à l’intérieur de la catastrophe du feu. Imaginer par suite d’aphorismes de l’enfance c’est jouer à enraciner paradoxalement l’arbre de sang du destin. Ou plutôt c’est jouer à projeter paradoxalement l’arbre de sang du destin, à projeter l’arbre de sang du destin à l’intérieur de la catastrophe de feu de l’ainsi. Imaginer par gestes d’aphorismes d’enfance c’est jouer à projeter l’arbre de sang du destin à l’intérieur de la catastrophe d’ascèse du feu. 

 

 

 

« Que se passerait-il si l’on faisait débuter la morale non pas avec des impératifs, mais avec la rêverie ? A quoi rêve l’âme lorsqu’elle voudrait imaginer les meilleures solutions sur le plan éthique ?

 

Chaque situation rêve la suivante. La morale résulterait des motifs récurrents dans la chaine du rêve. Je jurerais que l’âme qui rêve mettrait au jour une éthique plus élégante que celle de la rationalité quotidienne. »   P. Sloterdijk, Les Lignes et les Jours  

 

 

Cette hypothèse d’une éthique inventée par le geste même de la rêverie, c’est précisément ce qu’accomplit l’imagination pour Bachelard. Chaque forme d’imagination matérielle apparait en effet toujours comme une forme particulière d’éthique. Bachelard nous apprend  précisément qu’il n’y a pas d’homogénéité de l’éthique, d’homogénéité rationnelle de l’éthique. Il y a plutôt des formes d’éthique différentes qui correspondent à chaque forme d’imagination matérielle. Il y a ainsi une éthique du feu, une éthique de l’eau, une éthique de la terre, une éthique de l’air, c’est-à-dire une éthique de l’imagination ignée, une éthique de l’imagination aquatique, une éthique de l’imagination terrestre, une éthique de l’imagination aérienne. Et il y a aussi sans doute des formes d’éthiques hybrides par alliances d’imaginations matérielles. Le rêveur à la fois de l’air et du feu invente ainsi une éthique de la lucidité volatile. Le rêveur de la terre et de l’eau une éthique de la volonté à l’abandon. Le rêveur du feu et de la terre invente une éthique métallique de la distinction forgée. Le rêveur de la terre et de l’air invente une éthique du pétrissage ascensionnel … Evidemment l’éthique qui aurait alors une forme souveraine serait celle qui parviendrait à affirmer les quatre formes d’imagination matérielle à la fois. Eh bien pour le dire franchement c’est cette forme d’éthique souveraine que j’essaie d’approcher. 

 

 

 

L’éthique du feu c’est celle de l’affirmation de l’hypothèse, de l’affirmation du multiple, de l’affirmation des hypothèses multiples. « Qui accepte toutes les possibilités – car il faut les accepter toutes – entre dans un règne de la poétique du feu. » Je dirais plutôt. L’éthique du feu affirme la multiplicité des hypothèses en deçà du possible et de l’impossible, la multiplicité des hypothèses à la fois en deçà du possible et de l’impossible et en dehors de tout.

 

 

L’éthique du feu est aussi une éthique de l’excitation, une éthique de l’élévation par excitation c’est à dire une éthique de l’intensité. « Quand ces traits de feu, éclair ou vol, viennent nous surprendre dans notre contemplation, ils apparaissent à nos yeux comme des instants majorés, ils sont des instants d’univers. » 

 

 

« La cohésion par les images du feu est plus puissance que la cohérence des idées. »

 

Il y a en effet une étrange cohésion du feu, une cohésion incohérente du feu, une cohésion du feu par profusion, une cohésion du feu par profusion incohérente. 

 

 

L’éthique du feu est encore celle d’une excitation de la parure et d’une parure de l’excitation, à savoir précisément celle de la parole, de la parole comme excitation de la parure et parure de l’excitation. « Quand c’est dans la parole même que se manifeste le besoin de parure, la volonté de parure, la jouissance de parure. »

 

L’éthique du feu apparait ainsi comme celle d’une sublimation paradoxale, d’une sublimation par l’excitation même, d’une sublimation par l’excitation même des hypothèses, par la prolifération des hypothèses, par l’excitation proliférante des hypothèses, par la prolifération excitée des hypothèses. L’éthique du feu apparait comme celle d’une sublimation par l’excitation de la parole, par l’excitation d’hypothèses de la parole. L’éthique du feu apparait comme celle du feu de la conversation, comme celle du feu de la conversation de l’extase. 

 

 

Le feu affirme ainsi la sublimation absolue. Le feu phrase la sublimation absolue. Le feu affirme les phrases de la sublimation absolue.

 

 

L’éthique de l’eau est celle de l’homogénéité du rythme. L’éthique de l’eau est celle de l’harmonie rythmique, de l’harmonie rythmique de la parole. « L’eau est la maitresse du langage fluide, du langage sans heurt, du langage continu, du langage qui assouplit le rythme, qui donne une matière uniforme à des rythmes différents. »

 

L’éthique de l’eau est aussi celle de la contemplation et surtout de la volonté de contempler.  « La contemplation elle aussi détermine une volonté. L’homme veut voir. Voir est un besoin direct. » « Le magnétisme de la contemplation est de l’ordre du vouloir.» « Contempler ce n’est pas s’opposer à la volonté, (…) c’est participer à la volonté du beau qui est un élément de la volonté générale. »  (« L’eau ainsi est le regard de la terre, son appareil à regarder le temps. »  P. Claudel)

 

 

 

L’éthique de la terre est celle à la fois de la volonté et du repos, celle de la volonté de repos. L’éthique de la terre est celle du pétrissage, celle de la volonté de pétrir. L’éthique de la terre est celle de la volonté de pétrir le repos, celle de la volonté de tenir le repos, de tenir le repos à l’intérieur de ses mains, de tenir la présence du repos, de tenir la présence du repos à l’intérieur de ses mains. 

 

 

L’éthique de l’air est celle de l’élévation, celle de la verticalité, celle de l’envol, celle de la volonté ascensionnelle. « « Toute ma volonté n’a pas d’autre but que celui de prendre son envol, de voler dans le ciel. » Nietzsche. Je veux et je vole - même volo. Il est impossible de faire la psychologie de la volonté sans aller à la racine même du vol imaginaire. » L’éthique de l’air est ainsi celle à la fois du vertige et de l’envol. L’éthique de l’air est celle de la sublimation du vertige, celle de la sublimation de la chute, celle de la sublimation par la chute, celle de la sublimation par la volonté de la chute. « Il n’y a pas d’élévation définitive. En fait, la verticalité nous écartèle ; elle met en nous à la fois le haut et le bas. » « Qui triomphe du vertige intègre l’expérience du vertige dans son triomphe même. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Merci Boris pour ce texte sur Bachelard. Et pour la sorte de dette ou de vœu que tu exprimes par rapport à lui :

 

"Eh bien pour le dire franchement c’est cette forme d’éthique souveraine que j’essaie d’approcher."

 

Je vais peut-être parler du complexe de Jonas vu par Bachelard dans le prochain édito de Catastrophes. 

 

Bien amicalement à toi,

 

Laurent