Bonjour Laurent,

 

 

Je t’envoie quelques extraits de lecture.

 

 

« Le jeu pur est énigmatique. L’énigme est un jeu absolu. » J. Bergamin

 

« L’art est un jeu. Tant pis pour celui qui en fait un devoir. » Max Jacob

 

 

« L’énigme, comme le secret, n’est pas l’inintelligible. Elle est au contraire pleinement intelligible, mais elle ne peut être dite ou révélée. Telle est la séduction, évidence inexplicable. Tel est le jeu : au cœur de n’importe quel jeu il y a une règle fondamentale et secrète : une énigme - pourtant le processus entier n’est pas mystérieux, rien de plus intelligible que le déroulement du jeu. » J. Baudrillard

 

« Le sceau du secret est une belle métaphore. Le secret est en effet ce qui est scellé, ce qui circule sous le sceau des apparences et non sous le signe de la communication (fut-ce sous le signe inverse du non-dit et du silence). Secret est ce qui n’a pas besoin de se dire, et qui donc est l’évidence même et rayonne en pleine lumière sans autre forme de discours. »  J. Baudrillard

 

« Le secret peut être révélé ou occulté, il n’en est pas moins secret, il est même dans son essence parfaitement visible, mais cette visibilité n’annule pas son caractère insaisissable. » J. Baudrillard

 

« Le secret. Qualité séductrice, initiatique, de ce qui ne peut être dit parce que ça n’a pas de sens, de ce qui n’est pas dit lorsque ça circule quand même. (…) Cette complicité n’a rien à voir avec une information cachée. D’ailleurs les partenaires voudraient-ils lever le secret  qu’ils ne le pourraient pas, car il n’y a rien à dire. Tout ce qui peut être révélé passe à côté du secret. Car il n’est pas un signifié caché, il n’est pas la clef de quelque chose, il circule et passe à travers tout ce qui peut être dit comme la séduction court sous l’obscénité de la parole - il est l’inverse de la communication, et pourtant il se partage. C’est du seul prix de n’être pas dit qu’il tient son pouvoir, comme c’est du fait de n’être jamais dite, jamais voulue que la séduction opère.

Le caché ou le refoulé ont vocation à se manifester, alors que le secret ne l’a pas du tout. C’est une forme initiatique, implosive : on y entre, mais on ne saurait en sortir. Jamais de révélation, jamais de communication, jamais même de « sécrétion «  du secret. C’est de là qu’il tient sa force, puissance de l’échange allusif et rituel. »   J. Baudrillard

 

« Il y a quelque chose de secret dans les apparences, justement parce qu’elles ne se prêtent pas à l’interprétation. Elles restent insolubles et indéchiffrables. (…) Les protagonistes du secret eux-mêmes ne sauraient le trahir, puisqu’il n’est que l’acte rituel de complicité, de partage de l’absence de vérité, de partage des apparences. »  J. Baudrillard

 

« Ainsi on peut imaginer que, dans la séduction amoureuse, l’autre est le lieu de votre secret  - c’est l’autre qui détient, sans le savoir, ce qu’il ne vous sera jamais donné de savoir. Il n’est donc pas (comme dans l’amour) le lieu de votre ressemblance, ni l’idéal type de ce que vous êtes, l‘idéal caché de ce qui vous manque, mais le lieu de ce qui vous échappe, par où vous vous échappez à vous-mêmes, et à votre vérité. »  J. Baudrillard

 

« J’aime bien l’idée que le secret est enfoui sous nos pas plutôt qu’au ciel. » Aurélien Bellanger

 

 

« Nous voyons sur la même table la chandelle et le sablier, deux êtres qui disent le temps humain mais dans des styles combien différents ! La flamme est un sablier qui coule vers le haut. Plus légère qu’un sable qui s’écroule, la flamme construit sa forme, comme si le temps lui-même avait toujours quelque chose à faire. »  G. Bachelard 

 

 

« C’est toujours l’herbe qui a le dernier mot. »  H. Miller (cité par Gilles Deleuze in Mille Plateaux)

L’herbe répète à chaque instant le commencement. L’herbe possède toujours le dernier  silence. L’herbe répète à chaque instant le commencement du dernier silence. L’herbe possède à chaque instant le commencement du dernier silence.

 

 

Le feu d’artifice de chloroforme de la neige.

 

 

 

Post-scriptum.

 

J’ai lu aussi ta conversation critique avec Marc Blanchet à propos de Pierre Peuchmaurd. Il y a des formules élégantes. Celle-ci par exemple Car le monde est aussi beau qu’il est violent chez Peuchmaurd, je veux dire qu’il est beau jusqu’à la violence. Je me disais malgré tout en lisant ce texte que j’aime bien les images gratuites, les images gratuites qui ne sont pas cependant arbitraires c’est-à-dire les images à la fois gratuites et nécessaires. Le gratuit c’est en effet le don qui gratte, c’est la démangeaison de la grâce.

 

Et je voulais enfin te dire que Les Duellistes de Ridley Scott, à savoir un des plus beaux films d’épée de l’histoire du cinéma, apparait maintenant visible sur internet. (Si tu parviens à slalomer entre les publicités, ce qui n'est pas simple.)  

 

 

 

 

                                                                                                              A Bientôt               Boris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Merci pour toutes ces citations. Je suis bien sûr d'accord avec ce qu'elles disent et ce que tu dis du jeu et de sa gratuité. Merci aussi pour l'indication des Duellistes même si je n'ai pas l'habitude de regarder des films en streaming, je ne sais même pas comment on fait.

(…)

Bien à toi,

Laurent 

 

 

 

 

 

 

 

Tombé là-dessus, j'ai pensé à toi  

 

 

Maintenant, nous savons qu'un poulpe peut voir avec sa peau. Le photorécepteur dans la peau du poulpe est sensible aux mêmes longueurs d'onde que le photorécepteur qui se trouve dans leurs yeux. 

Quel effet cela fait-il de voir avec sa peau?

(...) Il ne peut y avoir de mise au point d'une image. Même si tout le corps peut voir, il n'a qu'une vision monochrome"

 

Peter Godfrey-Smith, le prince des profondeurs-l'intelligence exceptionnelle des poulpes, 2016.

 

 

 

 

 

 

 

 

Bonjour Laurent,

 

 

Celui qui contemple avec sa peau contemple en effet en deçà de la mise au point. Celui qui contemple avec sa peau ne focalise pas l’image. Malgré tout il apparait apte à sentir la multiplicité des couleurs. Je dirais même que seul celui qui contemple avec sa peau approche la multiplicité des couleurs précisément parce que son regard n’est pas soumis aux injonctions de la ligne, aux obligations du dessin. Celui qui contemple avec sa peau a la sensation des trajectoires multiples de la couleur, des trajectoires de multiplicité de la couleur. Cet homme-poulpe c’est par excellence Pollock. Cette manière de contempler comme un poulpe c’est la manière d’exister de Pollock. Pollock peint comme un poulpe. Pollock peint comme un poulpe-léopard. 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                              A Bientôt               Boris