Monsieur Laurent Albarracin,

 

 

 

 

 

En réponse au plaisir que j’ai eu à vous lire, je vous envoie ces textes (Nuages, Feu, Chaise, Clef). A proximité à la fois de F. Ponge et de C. Tarkos, j’y tente une forme de répétition paraphorique. D’abord je trouve et ensuite je m’amuse à chercher, abeille derviche qui butine la certitude par le geste de tourbillonner avec une ascèse désinvolte autour.                                   

 

 

 

                                                 

 

                                                 

 

                                             Salutations admiratives                                     Boris Wolowiec

 

 

 

 

 

 

 

 




 

22 Septembre 2012,

 

 

 

 

 

 

 

                                                   Cher Boris Wolowiec,

 

 

 

 

 

 

 

  Je vous écris tardivement  pour vous dire la surprise et le plaisir que m’a procuré l’envoi de votre épais manuscrit. Votre texte m’a vivement intéressé, même si je dois vous avouer que je ne l’ai pas lu tout à fait entièrement, faute de temps et peut-être aussi parce que le procédé  que vous explorer à fond montre parfois ses limites qui sont de lassitude chez votre lecteur. Mais ce que vous appelez votre « répétition paraphorique » me semble quelque chose de nouveau et de très fécond. On pense en effet beaucoup à Tarkos en vous lisant et je suis très heureux que vous ayez songé à m’envoyer votre texte parce que je suis un grand admirateur de Tarkos et que je m’en sens quelquefois assez proche. On songe à Tarkos en vous lisant, et puis il y a autre chose  qui vous est personnel, un sens de l’image, une liberté et un « automatisme » assez bluffant je dois dire. Vous avez trouvé une voie, une voix.

 

  A vrai dire je ne sais pas très bien quel est le motif de votre envoi, la lettre d’accompagnement du manuscrit ne le dit pas très clairement : demande d’avis, simple volonté de partager ou envoi du manuscrit  pour une édition ? En tout cas je ne saurais que trop vous conseiller de continuer dans cette direction, ou dans une autre aussi bien, dans cette belle radicalité qui est la vôtre en tout cas. Pour ce qui est l’édition du texte, je ne vois vraiment pas  à qui vous pourriez adresser ce texte énorme (quantitativement mais aussi sur le plan de l’audace littéraire). Je m’occupe bien d’une petite collection de poésie, Le Cadran ligné, mais ne publie que des plaquettes d’une page ou deux, à la rigueur trois ! En voici d’ailleurs un échantillon ou deux. Vous voyez que le format et la formule ne permettent de publier que de brefs poèmes. Si la collection vous dit, n’hésitez pas à me proposer un texte (ou plusieurs pour que je puisse choisir mon coup de cœur) qui rentrerait dans les contraintes d’espace de la collection. Cela vous obligerait à resserrer extrêmement votre écriture, à l’empêcher de partir dans l’espèce de prolifération ou vous donnez, mais je crois que ce pourrait être intéressant cette concision forcée. Vous avez le goût de l’abondance, mais aussi celui de la formule et de la définition des choses et des mots. Proposez quelque chose de bref et de percutant, et je vous publierais avec grand plaisir au Cadran ligné. Bien sûr je pourrais extraire quelques fragments de votre texte, et si vous préférez que ce soit moi qui fasse ce choix, je le veux bien. Mais je pense que vous-même  pourriez me proposer un extrait particulièrement important pour vous, ou un élément du texte retravaillé pour l’occasion et la forme particulière de ma collection, ou encore un texte nouveau sur un objet nouveau. A votre convenance. On a le temps  puisque mon programme de parution est déjà complet jusqu’à juin 2013.

 

  Voilà. Dites-moi. J’aimerais vous connaitre davantage. Vous n’avez jamais rien publié ? Au plaisir de vous lire.

 

 

 

                                                                                  

 

                                                                                          Cordialement,

 

 

 

 

 

                                                                                                         Laurent Albarracin

 

 

 

 

 

 

 



 

Monsieur Laurent Albarracin,

 

 

 

 

 

J’ai été extrêmement heureux de recevoir votre lettre. En effet, même s’il y a longtemps que je ne cherche plus d’éditeur, je cherche encore malgré tout parfois quelques lecteurs. Et soyons clairs, à notre époque les lecteurs comme vous ne sont pas nombreux. Si je suis un lettré, disons que je suis un lettré du Moyen-Age qui préfère offrir ce qu’il écrit de manière clandestine à des existences particulières plutôt que de les publier en les adressant à des individus anonymes.

 

 

 

Je sais très bien que le texte que je vous ai envoyé a une forme monstrueuse C’est pourquoi j’ai essayé de procéder avec prudence (selon la définition de la prudence que vous proposez dans Résolutions). Ce que je vous ai envoyé n’est qu’une partie d’un texte en chantier beaucoup plus monstrueux encore. Je vous envoie ainsi l’intégralité de La Posture des Choses (même si les blocs de répétition n’y sont pas assez retravaillés).

 

 

 

Je vous envoie aussi le livre A Oui grâce auquel vous parviendrez peut-être à voir où je veux en venir. Ce que je tente globalement ce serait à la fois d’affirmer l’aphorisme et de le détruire par prolifération. J’aimerais par la masse des aphorismes détruire la suffisance de chacun d’entre eux. J’aimerais par l’avalanche approximative des aphorismes « détruire le barrage de mon propre savoir » ainsi que le disait Michaux (problème que vous formulez comme celui de l’essentiel et du super flux). Bâtir une cathédrale par le geste même de la détruire, voilà la tentation innocente de ma démence.

 

 

 

Je vous lis avec attention et exaltation depuis quelques mois. Il y a entre nos textes à la fois des proximités étranges (l’arbre du feu, l’ouverture de la clef) et des attitudes philosophiques différentes. Vous revendiquez la tautologie de l’être, je prône plutôt la répétition de l’apparaitre. Cependant ce ne sont que des différences du discours rationnel, la pelle de votre intuition et la cuillère de mon imagination elles se ressemblent.

 

 

 

Voilà, je vous envoie ces textes, jouez  avec comme cela vous chante. En effet, ce dont nous avons aujourd’hui besoin, ce n’est pas de débat intelligent « L’intelligence mène à tout et surtout à l’erreur ». Ce dont nous avons besoin ce serait plutôt de savoir comment donner une forme exacte à la bêtise de notre âme, c’est à dire au chant de l’imagination, imagination à la fois matérielle comme celle de Bachelard et extatique comme celle de de Chazal, imagination qui montre la tournure immobile du monde à l’intérieur de l’éclat de sa chute. C’est pourquoi si cela vous chante, je serais heureux de vous rencontrer.

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                       Boris Wolowiec

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




Cher Boris Wolowiec,

je trouve enfin le temps de vous répondre. A nouveau très impressionné par votre envoi volumineux. Je n'ai pas tout lu mais feuilleté et les coups de sonde que j'ai pratiqués dans votre manuscrit m'ont beaucoup plu. Et merci aussi pour le livre A oui.
Lors d'un précédent courrier vous évoquiez une possible rencontre. Or il se trouve que pour les fêtes de fin d'année je me rends à Angers (ma ville natale). Peut-être pourrions-nous nous voir ? Je serais ravi de rencontrer le mystérieux auteur de ces improbables textes.
(…)

Bien amicalement,