Téléphone

 

 

 

 

 

 

 

Un coup de téléphone suffît pour anéantir l’âme d’une journée.

 

 

 

La parole téléphonique est obligatoirement éternelle du fait qu’elle est produite en tant que pure pensée. La parole téléphonique n’apparaît jamais jouée, jonglée, raturée par la présence de la chair. La parole téléphonique subsiste en tant que diktat spectral, sentence mortifère, condamnation diffusée à travers le néant d’anonymat du son. Au téléphone, même les plaisanteries sont des verdicts.

 

 

 

Les voix spectrales du téléphone sont des virus de pureté. Les voix spectrales du téléphone subsistent plus longtemps dans le cerveau que les voix incarnées. Les voix du téléphone sont éternelles et effaçables. Les voix incarnées apparaissent mortelles et invulnérables.

 

 

 

Recevoir un coup de téléphone est avoir la preuve de son identité sans posséder la certitude de son existence. Recevoir un coup de téléphone est le fait d’être simultanément prié en tant que Dieu et hanté à travers le doute que ce qui alors nous prie n’est rien d’autre que la distraction d’ubiquité du néant. C’est la raison pour laquelle le réseau téléphonique est l’annonciation de l’enfer.

 

 

 

Au centre de l’enfer, la pourriture reçoit à l’infini des coups de téléphone qui lui interdisent de jouir en paix de sa décomposition. Elle est obligée d’écouter à chaque seconde ce que des interlocuteurs anonymes lui demandent et il ne lui est jamais donné aucune chance de répondre.

 

 

 

Les organes de la virginité communiquent entre eux à travers le téléphone.

 

 

 

 

 

Le bruit des moteurs interdit l’apparition de l’âme.

 

 

 

Le bruit n’est pas le chaos. Le bruit ignore l’équilibre et le déséquilibre. Le bruit est l’obligation d’angoisse oblique de croire en la raison.

 

 

 

Le mot d’ordre du bruit prie le tribunal de morts de l’horizon.

 

 

 

Le bruit est le son d’insomnie de l’ignorance de Dieu.

 

 

 

Le bruit de l’électricité anéantit le timbre de la voix du silence. Le bruit de l’électricité anéantit la respiration de translucidité du sang.

 

 

 

Dans la société technocratique des simulacres, les hommes et les femmes produisent le langage en tant que marchandise divine. La séduction de la parole n’existe plus. Les hommes et les femmes ne font plus danser les phrases à l’intérieur comme au dehors de la chair. Ils sont désormais armés d’ersatz de revolvers, ils ne font rien d’autre que se viser les uns les autres, ils miment le bruit des détonations en avalant consciencieusement leur salive à travers leur cerveau; ils font ainsi semblant de s’assassiner en employant les tétines d’éternité de leur insomnie.