Lecture

 

 

 

 

 

 

 

La lecture joue à faire semblant de ne pas dormir.

 

 

 

La lecture révèle le flagrant délit de la somnolence. La lecture révèle le flagrant délit de sagesse de la somnolence.

 

 

 

La lecture affirme l’affectation du sommeil.

 

 

 

La lecture affirme la coquetterie de handicap du sommeil.

 

 

 

 

 

Il  y a une lecture sourde et une lecture muette. Il n’y a pas de lecture aveugle. Malgré tout ce qui lit ce n’est pas le regard. Ce qui lit, c’est l’aile du regard.

 

 

 

La lévitation souterraine de la lecture révèle l’aisance de vieillir à vol d’oiseau.

 

 

 

 

 

Les livres ressemblent à des lèvres de lettres cousues en éventail.

 

 

 

La sérénité d’un livre ressemble à celle d’un cannibale loyalement assis, qui somnole les mains posées sur le ventre, langoureusement apaisé.

 

 

 

Dans un monde où les livres n’auraient pas de titres et ne seraient pas signés, la lecture deviendrait semblable au geste de sauter à chaque instant en parachute sans jamais atterrir.

 

 

 

Les bibliothèques ressemblent à des abattoirs d’enfants. A l’intérieur des bibliothèques, il apparait éthiquement préférable de brûler les enfants à sourires nus.

 

 

 

 

 

Lire le journal est une façon de torturer la préhistoire.

 

 

 

Il reste amusant de relire les œuvres qui nous plaisent alors que nous sommes malades. En effet notre maladie nous apprend des aspects de ces œuvres que notre santé n’aurait jamais découverts. La maladie ne révèle pas la subtilité de ces œuvres, la maladie révèle plutôt la liberté de leur maladresse ou de leur idiotie.

 

 

 

L’unique travail d’un critique devrait être simplement de lire un livre et de dire ensuite s’il a ou non brûlé le livre qu’il a lu. Ce geste révélerait plus de courage et d’élégance que de commenter un livre autrement dit, que ce soit louange ou blâme, de faire semblant de le brûler.

 

 

 

Le lecteur serait l’espion de l’espèce du vide. Le lecteur serait l’espion qui examine toujours l’amnésie d’un homme avant d’examiner sa présence.

 

 

 

 

 

Voir quelqu’un lire ce que vous avez écrit a un aspect effrayant Ce qui effraie c’est de voir quelqu’un dont la pensée est alors identique à celle qui était la vôtre en un temps antérieur. Voir quelqu’un lire ce que vous avez écrit révèle que votre pensée ne vous appartient pas, que votre pensée reste à jamais comme un événement virtuel même si vous avez déjà accompli cette pensée à l’intérieur d’un temps et d’un espace précis.

 

 

 

Ce qui apparait lu existe depuis toujours. Ce qui apparait lu existait avant même que le monde existe. Ce qui apparait écrit existera toujours. Ce qui apparait écrit existera même quand le monde n’existera plus. C’est pourquoi celui qui lit ce qu’il a écrit a la sensation d’un écartèlement incroyable du temps en dehors même du monde.

 

 

 

Une forme de dédicace démente. A ceux qui ne liront pas ce livre.