Télévision

 

 

 

 

 

 

 

La télévision engendre une sorte de temps spectral. La télévision interdit l’avoir lieu du temps à travers l’obligation de l’ubiquité, à travers la médiation de l’universalité.

 

 

 

Pour la plupart des hommes le réel n’est désormais rien d’autre que la reproduction de ce qui se passe en tant que vérité a priori à la télévision. Pour la plupart des hommes un événement n’a de valeur que s’il est enregistré et diffusé à travers la télévision. Ironie grotesque, il suffit d’enregistrer télévisuellement n’importe quoi pour que chacun croit alors y voir un événement exceptionnel. Et à l’inverse ce qui n’est pas télévisé n’est plus qu’un événement absurde.

 

 

 

 

 

La télévision est une machine à produire des fantômes. La télévision est une machine à produire de la jalousie, une jalousie sans chair, la jalousie du pur esprit. La télévision produit des fantômes de jalousie cependant elle ne les dépense pas. Ces fantômes restent en nous, fantômes qui subsistent au-delà de la mémoire et de l’oubli. La télévision engendre exclusivement un énervement infini, une alibido de cadavres avides. La télévision ne donne pas quelquechose à voir, la télévision ne montre pas quelquechose, la télévision échange infiniment des spectres à travers notre distraction. La télévision spectralise le monde et elle spectralise celui qui la regarde, elle change celui qui la regarde en spectre de l’ubiquité de la lumière.

 

 

 

L’espèce humaine est désormais jalouse de la télévision. L’espèce humaine est jalouse de l'ubiquité diabolique de la télévision. Elle désire survivre en tant que pur esprit de nulle part au-delà du corps. Chaque homme désire non seulement passer à la télévision mais désire être une télévision, désire fonctionner en tant que télévision.

 

 

 

La hantise de la télévision est plus stupide que la damnation de la poste. L’ignominie de la télévision n’est plus alors celle d’un facteur-fantôme qui vampirise les mots d’amour de celui qui les envoie. Plus abjectement encore, il n’est désormais possible d’envoyer des mots d’amour qu’à condition de s’être soi-même changé en fantôme, à condition de n’être rien et d’envoyer ses mots d’amour à personne. La hantise électrique de la télévision anéantit le facteur qui spectralise les messages qu’il porte. Il n’y a plus de facteur entre les hommes du fait même que chaque homme s’est changé en son propre facteur, son propre intermédiaire fantôme.

 

 

 

 

 

Regarder la télévision c’est être vampirisé à travers le narcissisme universel de l’électricité.

 

 

 

La télévision institue le camp de concentration du narcissisme universel. Les êtres humains n’ont plus désormais pour désir exclusif que celui d’être reconnus à travers tous.

 

 

 

La télévision accomplit un simulacre de psychanalyse universelle. L’homme est le patient allongé sur le canapé, cependant il ne parle pas, il regarde et écoute à la façon d’un psychanalyste distrait la confession quotidienne de l’univers. Cette confession incessante des actualités en direct interdit à chaque seconde l’événement même d’un savoir en le changeant en information autrement dit en fait de voir et d’entendre ce qui arrive à n’importe qui  n’importe quand et n’importe où.

 

 

 

Les hommes regardent désormais la télévision comme s’ils attendaient le messie. Ce messie viendra le jour où la télévision s’allumera toute seule.

 

 

 

La télévision instaure une sorte de religion ironique. La télévision fonctionne simultanément en tant que messie : chaque émission est l’émanation insignifiante d’un messie et en tant que confessionnal à  l’envers : regarder une émission de télévision est se confesser en restant muet. Désormais le messie de l’émission énonce lui-même les péchés et ces péchés ce sont les informations de l’univers.

 

 

 

 

 

Les visages des hommes sont désormais identiques à des appareils de télévisions. Les visages des hommes sont désormais identiques à des appareils de télévision fanatiques dont le désir exclusif est d’anéantir de toute urgence leur âme.

 

 

 

La télévision parasite l’âme et la chair. Les  rêves des hommes sont désormais similaires aux émissions de télévision. C’est pourquoi le problème est maintenant d’inventer des techniques rituelles qui parviennent à détruire les signaux électriques de l’information par les figures de style de la sensation.

 

 

 

 

 

L’appareil de télévision est un hybride de bombe atomique et d’urinoir.

 

 

 

La télévision est une machine à accélérer l‘univers à travers l’inertie de la pensée.

 

 

 

Dans la société de l’information, les plateaux de  télévision sont les stations-service de la vertu.

 

 

 

Il ne suffit pas de faire des clins d’œil à la télévision pour avoir le sentiment d’exister.

 

 

 

Le soir juste avant de s’insomnier, la télévision éteint l’homme.