Nom

 

 

 

 

 

 

 

Un nom est un cercueil vivant.

 

 

 

Le nom d’un homme est le tombeau vivant de sa parole.

 

 

 

Quand un homme est vivant son nom est mort et quand il meurt son nom devient vivant. Quand un homme est vivant son nom est mort autrement dit éternel et quand il meurt son nom devient vivant c’est-à-dire mortel.

 

 

 

 

 

Le nom révèle le hasard posthume du désir.

 

 

 

Le nom révèle le vice explétif de la prestidigitation de langage.

 

 

 

Le nom révèle un labyrinthe de souffles en deuil.

 

 

 

 

 

L’instant de dire son nom révèle le hasard de coquetterie de la liberté.

 

 

 

Le nom révèle le tremblement de jouissance orgueilleuse de la flèche au centre de la cible.

 

 

 

Le nom de chaque homme accomplit la sophistication de souffle de son utopie.

 

 

 

 

 

La ressemblance du nom avec le visage est un indice d’aristocratie c’est à dire l’indice d’une hypothèse de décapitation.

 

 

 

Afin de détruire l’ennui, il apparait seulement nécessaire de sentir l’équilibre de son nom au sommet de son crâne, l’équilibre d’illusion de son nom au sommet du vide de son crâne.

 

 

 

L’équilibre d’illusion du nom incruste la respiration à la surface de la peau comme parure du vide.

 

 

 

Celui qui n’a d’autre mémoire que son nom dispose d’autant de formules de politesse que de sentiments.

 

 

 

Le problème reste de savoir si le nom est une serrure pour le nombril ou une clé pour le visage.

 

 

 

 

 

Un homme qui pourrait aller où il voudrait, dire et faire ce qu’il voudrait et qui serait cependant partout accompagné par une idée ou même une partie de son propre corps qu’il considèrerait à la fois comme insignifiante et parfaitement vraie ne serait pas libre. Sa liberté serait strictement identique à sa distraction. Tel est l’homme accompagné avant sa vie, pendant sa vie et après sa mort par son nom.

 

 

 

Un homme sans nom serait libre, cependant cette liberté serait une liberté à la fois pour rire et pour rien.

 

 

 

Il n’est pas difficile de changer de nom. Il n’est pas difficile de détruire son nom. Ce qui est fabuleusement délicat c’est de trahir son nom, c’est de trahir le sentiment de son nom. En effet la seule manière de trahir son nom est de lui faire une farce, la farce de vivre à sa place, la farce de se changer en son sosie. Malheureusement il est difficile de se changer ne serait-ce que quelques secondes en sosie de son nom sans être alors être condamné à le rester à jamais.

 

 

 

Changer de nom n’est pas trahir son nom. La seule façon de trahir son nom est d’accomplir un stratagème qui oblige quelqu’un à porter ce nom et cela sans qu’il le sache. Trahir son nom est obliger quelqu’un d’autre à se changer en imposteur à son insu. Trahir son nom est obliger quelqu’un d’autre à porter ce nom sans que cet autre homme ne soit jamais conscient que le pseudonyme qu’il a choisi est aussi un homonyme.

 

 

 

Chaque homme répond à son nom parce que le nom apparait comme un don. A l’inverse aucun homme ne répond à son pseudonyme. En effet le pseudonyme n’est pas un don, le pseudonyme est un échange. Le pseudonyme est ce qui est échangé contre un nom. Celui qui porte un pseudonyme le questionne, il questionne son pseudonyme pour lui faire avouer le crime ridicule de son nom.

 

 

 

 

 

Les noms ne croient pas aux mêmes dieux que les hommes.

 

 

 

Un nom change de Dieu à chaque fois que quelqu’un l’oublie. Un nom change de Dieu soit lorsque quelqu’un oublie quel nom il est soit lorsque quelqu’un oublie que c‘est un nom. Lorsque quelqu’un oublie que c’est un nom, ce nom devient parfois même athée.

 

 

 

 

 

Dans une société où les hommes n’auront plus de noms, chaque homme sera désormais désigné à travers un bruit de moteur. Dans une société où les hommes n’auront plus de noms, la volonté d’incarner une âme sera devenue un scandale préhistorique, une forme de provocation absurde envers les progrès des moteurs de l’homme.

 

 

 

Il serait agréable et même langoureux de découvrir son nom comme un scientifique découvre un théorème ou un explorateur un continent. Il serait langoureux de découvrir son nom comme quelque chose qui ne serait ni donné par quelqu’un d’autre ni inventé par soi.

 

 

 

Il serait amusant de découvrir son nom comme un territoire oublié, une planète inconnue, une étoile invisible.

 

 

 

Pour celui qui a perdu son nom, dormir devient une forme d’héroïsme. Pour celui qui sait comment s’appelle celui qui lui a volé son nom, dormir devient une forme fragile de désespoir.